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The Substance de Coralie Fargeat : De l’auto-dévotion à l’auto-dévoration

Présenté en compétition à Cannes, le film de la réalisatrice française Coralie Fargeat a créé une double sensation : réveiller les festivaliers avec un film de genre – le body horror – et marquer les esprits par la performance exceptionnelle de Demi Moore, peut-être la meilleure de sa carrière. Toutefois, ce n’est ni l’audace du genre ni la mise en scène intransigeante envers le public, ni même l’interprétation de son actrice principale, qui ont été récompensées par le jury présidé par Greta Gerwig. C’est le prix du Meilleur scénario qui a été décerné au film.

— Margaret Qualley et Demi Moore – The Substance
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

L’histoire contée par Coralie Fargeat est celle, tout à fait classique, d’une ancienne vedette de cinéma, Elisabeth Sparkle, reconvertie en animatrice d’une émission télévisée de fitness un peu ringarde. Le directeur de la chaîne, Harvey (interprété par Dennis Quaid, qui incarne ici une caricature des magnats des médias avec une brutalité ogresque probablement inspirée par Harvey Weinstein), la licencie le jour de ses 50 ans, préférant « de la chair plus fraîche ». Lors d’une visite chez le médecin, un assistant lui glisse un numéro de téléphone. Intriguée, elle appelle : une voix mystérieuse lui propose une solution à son problème : The Substance. Cet élixir de jouvence permet de créer une version plus jeune et, bien entendu, en accord avec les mantras du développement personnel et du marketing néocaptialistes, une « meilleure version de soi-même ». Seule contrainte : respecter scrupuleusement le temps partagé avec son alter ego. Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre. Les instructions insistent bien sur ce point : l’équilibre doit être maintenu.

À partir de cette règle somme toute assez facile à respecter, l’histoire quitte le domaine du commentaire social surligné sur l’âgisme, la fabrique médiatique du divertissement et les injonctions patriarcales, pour plonger dans la sphère du fantastique. L’avatar, Sue (interprétée par Margaret Qualley), s’avère rapidement être une entité aliénée et aliénante qui non seulement sort du corps d’Elisabeth, mais s’émancipe de sa matrice.
Sue convainc rapidement Harvey qu’elle est la remplaçante idéale d’Elisabeth. Le format de l’émission est relooké et modernisé, et le succès est immédiat.

Pendant qu’Elisabeth, maintenue en vie par des perfusions, attend son retour à la lumière dans la salle de bains de son luxueux loft, Sue savoure sa montée fulgurante. Depuis la baie vitrée du loft, un immense panneau publicitaire avec son image annonce son show. Lorsque vient la semaine d’Elisabeth, elle est confrontée à cette vision triomphante de son avatar. De son côté, Sue prend de plus en plus d’assurance, aspire à toujours plus de lumière et de gloire, et bien qu’elle sache qu’il ne faut pas dépasser les limites de temps imposées, elle se dit que les franchir légèrement ne devrait pas avoir de conséquences.

Hélas, ne pas respecter cette unique consigne va briser l’équilibre, entraînant des effets irréversibles, car chacune se nourrit de l’autre. Les deux alter ego vont alors s’engager dans un combat à la vie à la mort.

La forme du film est, sans conteste, spectaculaire. La cinéaste ne fait aucune concession à la monstruosité de l’auto-dévotion qui mène inexorablement à l’auto-dévoration. Les perspectives de la caméra qui capte autant les commissures dégoulinantes d’Harvey que ses bruits de mastication participent autant à la narration que les litres de sang qui se déversent dans un final improbable, visant à atteindre le sommet de la satire recherchée. Elle s’approprie pleinement les codes du body horror : aiguilles transperçant des veines ou recousent les dos des corps inertes, corps qui se déchirent, laissant leurs entrailles dégouliner sur le sol blanc et carrelé de la salle de bains, membres se déformant, vieillissant prématurément, mutilations, mutations de l’iris, et corps se détériorant sous nos yeux jusqu’à devenir des squelettes momifiés.

The Substance de Coralie Fargeat
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

Le rôle d’Elisabeth, interprété magistralement par Demi Moore, met en exergue toute la rage qu’un individu peut avoir envers soi-même et la violence qu’il ou elle peut s’infliger – on peut même y voir une forme de revanche personnelle pour Demi Moore, devenue au fil des ans une actrice de second plan à Hollywood, qui revient de manière éclatante sur le devant de la scène… à 61 ans, dans le rôle d’une femme de 50 ans…

En revanche, il est difficile de comprendre comment ce film a pu être récompensé par un prix pour son scénario, qui souffre de longueurs, notamment à travers les scènes d’échanges vitaux entre Elisabeth et Sue, souvent marquées par la répétition. L’histoire, bien que présentée dans un écrin peu banal, s’avère tristement banale. Elle met en scène l’horreur de manière glaciale, chaque élément étant filmé de façon précise et chirurgicale, à l’image du protocole d’administration de la substance. Le film se complaît dans la perfection de sa forme, négligeant la matière de son contenu, qui devrait interroger la lutte d’une femme avec elle-même dans un environnement célébrant la superficialité et l’individualisme capitaliste. Au lieu de cela, nous nous retrouvons face à la sempiternelle rivalité entre deux femmes : l’une qui vieillit et l’autre, plus jeune, persuadée que son tour est venu.

De Coralie Fargeat; avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Gore Abrams, Hugo Diego Garcia; France, États-Unis, Grande-Bretagne ; 2024; 141 minutes.

Malik Berkati

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