Wicked Little Letters, de Thea Sharrock, livre un récit à l’humour savoureux et à l’excentricité délicieusement britannique, portés par une excellente distribution
Intitulé Scandaleusement vôtre dans la version francophone, le dernier film de Thea Sharrock, écrit par Jonny Sweet, plonge le public dans la tourmente d’une satire impertinente alimentée par des accusations diffamatoires. Grâce à un casting solide qui met avec truculence en relief le côté humoristique de l’histoire, Wicked Little Letters s’avère être une comédie divertissante même si le mystère en son cœur se pressent rapidement.
Dans la petite ville balnéaire de Littlehampton, en 1920, la quiétude provinciale est subitement mise en péril. Edith Swan (Olivia Colman) vit sous la houlette d’un père colérique et tyrannique, le respectable Edward Swan (Timothy Spall) et auprès sa mère Victoria (Gemma Jones), sous emprise. Lorsque cette femme, bigote et vieille fille, commence à recevoir des lettres anonymes truffées d’injures et de propos outranciers, Rose Gooding (Jessie Buckley), sa voisine irlandaise à l’esprit libre et au langage fleuri, est rapidement accusée des crimes. Les plaintes déposées par Edward Swan au commissariat local sont incessantes et cet homme irascible passe sa colère sur sa fille qu’il condamne à écrire des punitions tout en récitant ses prières. Toute la petite ville, concernée par cette affaire, s’en mêle. Devant l’inertie des officiers de police qui se targuent d’être les meilleurs tout en dénigrant leur jeune collègue par le biais d’une avalanche de propos machistes, l’officière de police Gladys Moss (Anjana Vasan), est bien décidée à faire le jour sur cette affaire et à trouver le ou la coupable. Rapidement suivie par les femmes de la ville, Gladys Moss mène alors sa propre enquête : elles soupçonnent que quelque chose cloche et que Rose pourrait ne pas être la véritable coupable, victime des mœurs abusives de son époque.
Basé sur une histoire vraie qui a ébranlé l’Angleterre des années 1920 et que les journaux de l’époque ont relaté en suivant l’épopée de ces missives injurieuses puis la saga des procès qui en découlèrent, le film de Thea Sharrock est au bénéfice d’une photographie lumineuse et très picturale qui offrent des vues et des scènes qui nous font songer aux tableaux de Joshua Cristall ou de Frederic Leighton.
Amusant et délicieusement irrévérencieux, Wicked Little Letters porte à l’écran la réunion d’un duo d’actrices composé par Olivia Colman et Jessie Buckley, actrices qui s’étaient illustrées par leur complémentarité dans le jeu scénique dans The Lost Daughter (2021). On les retrouve ici dans les rôles principaux de cette comédie mystérieuse dont le charme délicat l’emporte sur la prévisibilité de l’issue que l’on cerne rapidement sans que cette découverte n’amoindrisse le plaisir de suivre l’avancée du récit.
Olivia Colman, passée experte dans l’art de travailler avec des émotions ambiguës, jouant sur les mimiques de son visage, a peut-être troqué la subtilité contre l’évidence dans cette performance de sainte-nitouche si ingénue et qui est prise pour cible dans la spirale vertigineuse de ces lettres provocantes et scandaleuses. Face à elle, Jessie Buckley, mère célibataire, incarne la femme libérée, émancipée des carcans du patriarcat et de la société bourgeoise hypocrite. Mais sa gouaille railleuse et ses provocations font d’elle la coupable toute désignée. Anjana Vasan tient le troisième rôle principal qui offre à la comédienne une opportunité exceptionnelle de montrer la palette de ses talents comiques ainsi que son intelligence de jeu. Dans les rôles secondaires, le film regorge d’un éventail de talents qui savent comment livrer avec un cachet de première classe : Hugh Skinner, Joanna Scanlan, Paul Chahidi, Adam Trésor, Ololade Adefope, entre autres.
Isobel Wallet-Bridge signe la musique de la comédie criminelle de Thea Sharrock qui avait fait appel à Craig Armstrong sur Me Before You (Avant toi, 2016) et The One and Only Ivan (Le Seul et unique Ivan, 2020).
Si la vérité sur le scandale des lettres n’est pas difficile à déterminer, cela n’enlève rien au caractère divertissant de l’enquête policière, rondement menée, à la Hercule Poirot ou à la Miss Marple, avec, à la clef, la joie absolue procurée en regardant les incroyables performances. Wicked Little Letters a du mordant dans le comique de situations comme dans les répliques, mais on aurait souhaité que le film soit encore plus tumultueux. C’est le genre de long métrage enjoué et facétieux des séries de la BBC que l’on savoure le dimanche après-midi, le genre qui se fait rare et que l’on regarde avec plaisir. Le genre qui prend racine dans une histoire réelle complètement démente, presque incroyable, et la transforme en un film plein d’esprit, doté d’un récit léger et efficace et incarné par des personnages vibrants.
À l’issue de la projection, on se questionne sur cette affaire rocambolesque et ses résonances avec notre société contemporaine. Il y a cent ans, un siècle avant que les courriers électroniques et les réseaux sociaux prennent les rennes de notre quotidien et ouvrent l’agora publique à tous les abus d’opinion comme de langage, déversant un flux ininterrompu d’obscénités ou d’injures non sollicitées, la paisible ville anglaise de Littlehampton était scandalisée par une explosion de lettres emplies de fiel et de vindicte. La morale de l’histoire est d’une simplicité déconcertante : autre époque, même modus operandi pour un résultat identique, à savoir nuire à la respectabilité et à l’intégrité d’une personne. Alea jacta est !
Firouz E. Pillet
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