Ask Dr. Ruth, un documentaire empli d’humour qui retrace le parcours de la « papesse du sexe », la docteure Ruth Westheimer
Ask Dr.Ruth est un film documentaire de 2019 réalisé par Ryan White qui suit la sexothérapeute germano-américaine Ruth Westheimer dans sa réflexion sur sa vie et sa carrière. Le titre du film dérive du nom de la série télévisée de fin de soirée diffusée en 1987 de Westheimer’s Ask Dr. Ruth.
La séquence d’ouverture souligne l’immense autodérision de Dr, Ruth qui s’amuse à demander à son assistante d’ordinateur, Alexa : « Vais-je avoir un petit ami ? » L’assistante informatique de lui répondre: « Désolée ! Je ne sais pas cela. » Puis Dr Ruth demande à Alexa si elle connaît Dr Ruth. Alexa lui répond : « Dr Ruth Westheimer, plus connue comme Dr Ruth, est une Juive allemande émigrée aux États-Unis, qui est devenue une sexthérapeute médiatique et auteure. »
S’ensuit un extrait d’un sketch de Robin williams qui dit de Dr Ruth :
« Elle parle du pénis comme si elle parlait d’une émission culinaire. »
On découvre Dr Ruth dans son appartement où elle a vécu quarante-quatre ans à Washington Heights, à New-York, dans « un quartier multiculturel d’immigrés » où elle se plaît.
Ce documentaire retrace les pages plus sombres de la vie de Dr Ruth. Née en Allemagne, à Francfort-am-Main, Karola Siegel est une survivante de l’holocauste. La petite juive émigre en Amérique du Nord dans les années 1950, où elle conserve un fort accent allemand. Elle devient sexothérapeute et anime dans les années 1980 et 1990 des émissions à la télévision américaine. Aujourd’hui, à nonante ans, elle revient sur son parcours improbable et sur la façon dont elle a démocratisé la manière de parler de sexualité auprès des téléspectateurs.
Quand elle a commencé ses émissions en 1984, il n’y avait personne d’aussi explicite qu’elle qui parlait librement de sexe. Précurseuse, Dr Ruth a libéré la parole concernant la sexualité et les problèmes liés à l’intimité.
Pierre Lehu, son assistant et secrétaire, travaille depuis trente-six avec Dr Ruth :
J’aimerais prendre ma retraite mais Dr Ruh ne prendra jamais sa retraite. On se parle vint à trente fois par jour, mon agenda est plein.
Certains moments sont émouvants quand Dr Ruth raconte qu’elle a quitté l’Allemagne nazie alors qu’elle avait dix ans et déballe un gant de toilette précieusement emballé, un gant qu’elle a pu emporté avec elle avec, à l’intérieur, les initiales brodés KS pour Karola Siegel.
« Je ne m’en suis jamais séparée. C’est la seule chose que j’ai pu emporté de mes parents. Ce gant me relie à mon passé. »
Dr Ruth raconte comment la jeune Karola tremblait de peur en entendant les bottes des soldats nazis venus emmener son père, comment sa grand-mère, qui conservait des sous dans le revers de sa jupe, leur a donné cette somme pour qu’ « ils prennent soin de son fils », comment les Allemands se sont mis à « brûler les synagogues et pillé les magasins des juifs ».
Avec une forte émotion dans la voix, elle raconte ensuite qu’à dix ans et demi, elle a dû prendre un train de Frankfort pour Wengen, en Suisse :
« J’étais fille unique, avec des parents et des grands-parents aimants, j’avais treize poupées, deux maisons de poupées et des patins à roulettes. Je ne voulais pas partir mais j’ai fait comme mon père pour rendre mon départ plus facile à ma mère et à ma grand-mère : j’ai souri et je leur ai fait signe de la main. Mes parents m’ont donné deux fois la vie : la première quand je suis née et la seconde, quand ils mont envoyé en Suisse. Tous les enfants étaient inquiets, je me suis mise à chanter des chansons de mon enfance juive et allemande et tous les enfants ont chanté avec moi. Arrivée à Heiden, je me suis retrouvée dans un orphelinat qui s’appelait Warthaus … On allait en effet attendre longtemps et on était des citoyens de seconde classe, on devait s’occuper des enfants suisses.»
La période de l’enfance de la jeune Karola est reproduite en dessins animés moyennement heureux; on aurait se contenter de voir les quelques photographies de cette période de Ruth Westheimer.
«Les femmes doivent prendre l’initiative de leurs décisions, de leur vie et de leur sexualité. »
La caméra dévoile une discussion avec sa fille, Miriam Westheimer et sa petite-fille, Leora Einleger, qui tente de lui faire admettre qu’elle est féministe puisqu’elle défend le planning familial, le droit à l’avortement, le roi des personnes LGBTQ, mais Dr Ruth refuse cette appellation car elle assimile le féminisme aux femmes contestataires des années 70 qui brûlaient leur soutien-gorge.
Dr Ruth raconte qu’ « à l’orphelinat, les filles n’avaient pas le droit d’aller au lycée et devaient devenir domestiques. Les garçons pouvaient y aller. Son père lui a recommandé d’étudier, un droit que personne ne pouvait lui ôter. Son amoureux Walter allait au lycée la journée et la nuit, il se cachait sous mon lit et je lui empruntais ses livres. Je pouvais lire des livres d’histoire, de géographie et d’anglais.
Dr Ruth raconte à Walter :
« Je suis reconnaissante à la Suisse qui nous a donné un toit et à manger mais je ne peux pas pardonner certains choses comme le fait que les Suisses ont choisi des personnes, comme la directrice Riesenfeld, qui disaient que nos parents ne nous aimaient pas au lieu de nous dire qu’ils s’étaient sacrifiés pour mettre leur enfant unique à l’abri. »
Ruth Westheimer a conservé toutes les lettres de se parents : son père lui écrit : »Il est plus facile d’exprimer en vers ce que la prose a de la peine à exprimer. »
Dr Ruth remercie Gloria Steinem (féministe américaine, journaliste et promotrice des droits des femmes, N.D.L.R.) pour ce qu’elle a fait ce qui « a permis aux femmes de parler librement. de se faire entendre et de prendre leur place et de pouvoir parler de leur sexualité. »
Le journaliste Jonathan Capehart, afro-américain, la remercie d’avoir été la première à parler du respect et de déstygmatiser les communautés gay dont il fait partie. En 1982, quand on parle de « cancer de la communauté gay » et que certaines politiciens revendiquent un jugement de Dieu, Dr Ruth a abordé ces sujet lors de ses émissions, en particulier les maladies sexuellement transmissibles.
En Israël, Dr Ruth retrouve son amie d’enfante, Daliah « Marga » Miller qui raconte qu’elle épluchait des pommes de terre pour tout l’orphelinat quand elle a entendu à la radio que la guerre était terminée. Les responsables de l’orphelinat ont réuni tous les enfants; Dr Ruth se souvient :
« Ils nous ont lu les noms de leurs proches qui avaient survécu. Mes parents n’ont jamais été sur ces listes. On était inquiet de ce qu’on allait devenir : on n’était plus allemand, on n’avait jamais été suisse. On a nous a fait monter dans un train et on a croisé un train plein de prisonniers nazis. En les voyant, je me demandais si ils avaient tuer ma famille. On est arrivé à Marseille : je n’avais jamais vu l’océan. On a pris un bateau pour la Palestine et on est arrivé dans un kibboutz, Ramat David, un campement collectif pour juifs. On m’a dit que je ne pouvais plus m’appeler Karola, un prénom trop allemand. J’ai choisi mon deuxième prénom, Ruth, en pensant que ma famille pouvait ainsi me retrouver.»
Dr Ruth se souvent alors de sa première nuit d’amour avec Kalman, qui était dans l’armée et était venu rendre visite à son frère Shaul. « J’ai quitté Shaul que je n’avais qu’embrasser. Shaul a dit à son petit frère de prendre soin de moi. On a cherché un endroit tranquille et on a escaladé une meule de foin.»
Puis on retrouve Dr Ruth à Yad Vashem, le mémorial israélien situé à Jérusalem, construit à la mémoire des victimes de la Shoah.
« Les nazis ont conservé beaucoup d’enregistrements mais pendant des années, je ne voulais pas voir en noir et blanc ce qu’on avait fait à mes parents. Même si c’est difficile pour moi, j’ai un devoir moral de le faire. »
Joel et Miriam, le fils et la fille de Dr Ruth, lui ont demandé pourquoi ils n’avaient pas de grands-parents maternels : « Elle nous a répondu mais parlait très peu de la Shoah. »
Quand elle recherche son père, Julius Siegel, et sa mère, née Irma Hanauer, elle découvre que son père est mort en mars 1942 à Auschwitz et que sa mère est inscrite comme disparue :
« Je ne me considère pas comme survivant comme je n’étais pas dans les camps mais comme orpheline de la Shoah. »
En 1947, la situation devient de plus en plus difficile en Palestine depuis la partition par l’ONU. Une guerre civile éclate entre Juifs et Arabes :
«Me souvenant de la situation des Juifs en Allemagne, j’ai suivi une formation de tireur d’élite pour la Haganah, une armée juive clandestine. »
Se confiant à Jonathan Capehart, elle souligne qu’elle conseille les gens selon son expérience :
« J’ai été mariée trois fois mais seulement mon mariage avec Manfred Westheimer, avec qui j’ai été mariée quarante ans, a été une vraie relation. Si cela ne vas dans une relation, faites une thérapie ou séparez-vous ! Ainsi vous pouvez commencer une nouvelle vie. »
Elle souvient que quand son premier mari est parti faire ses études de médecine à Paris, elle la rejoint et a pu faire une année préparatoire qui, si elle était réussie, lui donnait l’accès à la Sorbonne : elle a pu y étudier la psychologie avec des professeurs tels Piaget, Lagache.
« David voulait retourner en Israël et m’a accordé le divorce pour que je puisse continuer mes études. A Paris, j’ai rencontré mon deuxième mari, Dan Bommer. Les personnes qui n’avaient pas pu finir les études à cause de l’holocauste recevaient un chèque pour aller aux États-Unis. En 1956, on est parti sur un bateau, le Liberté, en quatrième classe, au fond du navire. On a enfreint l’interdiction et on est allé en première classe car je voulais voir la vue sur la Statue de la Liberté. »
En 1958, elle divorce de Dan qui prend leur vieille voiture et lui laisse Miriam :
« Je n’avais pas de sous, j’élevais seule mais je faisais des fêtes chaque week-end. J’étais une sorte de précurseur de la mère célibataire. »
Ses enfants se souviennent d’une mère toujours active, qui avait toujours une activité prévue même le dimanche mais qui conservait son activité professionnelle :« En 1967, je travaillais au planning familial et formais des gens à East Harlem. »
Le film se termine en apothéoses avec la fête des nonante ans de Dr Ruth :
« Avec mon passé j’ai l’obligation de vivre pleinement et de laisser une trace. »
Le film a été présenté le 25 janvier 2019 au Sundance Film Festival. Ask Dr. Ruth a remporté le prix du meilleur documentaire au Calgary Underground Film Festival et a été nominé pour le meilleur documentaire au Hot Docs Canadian International Documentary Festival et au Miami International Film Festival. En Suisse, Ask Dr Ruth a été projeté en projection spéciale au festival de Zurich.
Firouz E. Pillet
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