Avec Triangle of Sadness (Sans filtre), les digressions de Ruben Östlund sur l’humanité atteignent leur paroxysme
Après la Fashion Week, Carl (Harris Dickinson) et Yaya (Charlbi Dean Kriek), couple de mannequins et influenceurs, sont invités sur un yacht pour une croisière de luxe. Tandis que l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala approche. Les événements prennent une tournure inattendue et les rapports de force s’inversent lorsqu’une tempête se lève et met en danger le confort des passagers.
Présenté en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes, où il a décroché la Palme d’or, Triangle of Sadness, du Suédois Ruben Östlund, commence très fort, avec une belle distribution et des thématiques qui pointent avec acidité les travers du genre humain. Tout d’abord, avec le séduisant Carl participant à des castings pour des défilés de mode, s’adaptant aux exigences des photographes qui exécutent les demandes des stylistes, sourires obligés, pour Benetton, faciès crispé ou regard sombre pour la haute-couture.
Réparti en trois volets, la dernière réalisation de Ruben Östlund pointe les excès en tous genres de l’humanité. Dans le premier volet, Carl se livre à des joutes verbales paritaires avec sa Dulcinée (feue Charlbi Dean Kriek, dont le rôle prend une teneur particulière après sa disparition). Alors que le couple de mannequins influenceurs disserte par des tirades à rallonge d’une addition de restaurant, on ne perçoit pas encore où le cinéaste va nous entrainer.
Depuis ses débuts, Ruben Östlund excelle dans l’observation acerbe et la description affinée de la nature humaine, vue à travers ses bassesses et sa médiocrité, sujets de prédilection du cinéaste. Triangle of Sadness conserve cette même analyse, mais ici Ruben Östlund se plaît à pousser l’observation à l’extrême. Il fait payer cher le capitalisme à travers le portrait de certains de ses représentants rudoyés sans pitié.
Dans un second volet spectaculaire aux situations outrancières, le cinéaste se permet tous les excès avec un plaisir indéniable, menant à bien son entreprise de démolition de l’humanité qui dépasse allègrement Snow Therapy et The Square. C’est ce second volet, excessif et démesuré, qui n’a pas fait l’unanimité. Sa satire dérange d’autant plus qu’elle cible les plus riches. Malgré Les répliques qui fusent et l’humour au second degré qui crépite, rapidement, les scènes de groupe ne semblent être là que pour remplir le temps et l’espace. Le cinéaste laisse transparaître une réelle jubilation dans ce jeu de massacre, distillant au fil du récit quelques judicieuses ellipses.
Un troisième et dernier volet livre l’humanité en pleine débâcle après un naufrage certes physique, mais aussi symbolique, amenant les rescapés à survivre dans une certaine sauvagerie primitive selon le mythe de Vendredi et Robinson Crusoé. C’est ce troisième volet qui aurait pu être intéressant en abordant le sujet de la lutte des classes, mais Ruben Östlund amorce cette voie sans la poursuivre. Hélas !
Le cinéaste suédois nous a habitués à aller très loin, voire trop loin, mais ici, il s’arrête et nous laisse le souffle coupé. Malgré toutes ses outrances, il nous laisse pantois, interloqués ; on se questionne : comment a-t-il pu échouer à ce point dans son dénouement ?
Ce divertissement, avec les scènes outrageusement redondantes du second volet, demeure somme toute plutôt vain et artificiel, sans affect ni finesse, fier de ces messages qui s’avèrent aussi subtil qu’un marteau-piqueur.
D’autres films de la compétition cannoise auraient mérité la récompense suprême !
Sur les écrans suisses depuis le 28 septembre.
Firouz E. Pillet
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