Berlinale 2016 – Compétition jour #7: Zero Days et Kollektivet (The Commune)
7è jour de compétition – un pied dans le futur du présent avec un documentaire sur la cyber-stratégie au niveau étatique et ses dangers inhérents, et un pied dans le passé dont les enfants font des films présentement.
Zero Days
Ce documentaire nous entraîne dans une enquête sur le cyber-espionnage, la cyber-guerre et les cyber-armes à travers le maintenant célèbre vers informatique Stuxnet pensé pour attaquer les infrastructures nucléaires iraniennes mais qui s’est propagé de manière incontrôlée dans le vaste web.
Dans le film d’Alex Gibney, ce sont des insiders qui prennent la parole. Difficilement. Le réalisateur, dans nombre de scènes lutte pour avoir une autre réponse que « je ne peux pas commenter X ou Y ». Ceux qui parlent le plus ouvertement sont les spécialistes en sécurité qui ont découvert et travaillé sur le malware. Même David E. Sanger, journaliste au New York Times qui a enquêté et sorti l’histoire en 2012 s’autocensure sur certains points dans le film. Pas de leaks à la Snowden ici mais quelques témoignages d’employés des agences étasuniennes qui révèlent certains éléments anonymement, « non pas pour faire comme Snowden qui a été trop loin », débute un des témoins, « mais pour arrêter de lire n’importe quoi dans les médias et dire ce qu’il s’est vraiment passé. »
Au contraire de l’autre documentaire en compétition – Fuocoammare – Zero Days est cinématographiquement parlant peu excitant, assez conventionnel et passera certainement très bien à la télévision. Ce qui est une bonne chose, car même si pour ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la politique informatique des États de ce monde ou/et à la situation au Moyen Orient il n’y a rien de bien nouveau à apprendre si ce n’est le processus de création du malware par les agences concernées et celui de recherche de défense par les sociétés de logiciels de défense, la majorité du public n’a aucune idée de ce qui se joue et des conséquences que cela pourra avoir à l’avenir puisqu’au contraire des systèmes de défense (ou de guerre) conventionnels soumis peu ou prou au contrôle démocratique, la cyber-stratégie des État est soumise au secret systématique, toujours énoncée en termes de défense et ne faisant l’objet d’aucun débat public.
De Alex Gibney ; États-Unis ; 2016 ; 116 min.
Kollektivet (The Commune)
Après son incursion très britannique dans le cinéma classique et conventionnel – un comble pour le cofondateur avec Lars von Trier de Dogma95 – avec Loin de la foule déchaînée (une adaptation du roman éponyme de Thomas Hardy, Thomas Vinterberg revient sur son sol natal et son enfance … et cela lui réussit bien ! Le réalisateur des impitoyables Festen et Jagten reprend ici à un de ses thèmes de prédilection, l’exploration du monde de la famille, mais cette fois-ci par le biais d’une comédie – mais une comédie à la danoise ! Ce qui veut dire que l’humour offre de beaux instants de respiration et un peu de légèreté à une histoire qui est tout de même à classer dans le genre dramatique.
Dans les années 70 Erik, professeur d’architecture, hérite d’une très grande maison au nord de Copenhague. Sa femme Anna, une célèbre présentatrice du journal télévisé, propose de partager l’espace de cette maison, trop grande pour eux et leur fille de 14 ans Freja, avec des amis. Anna s’ennuie un peu dans le cercle de sa petite famille et veut du changement. Un peu contre son gré, Erik finit par accepter, et bientôt une douzaine d’hommes, femmes et enfants se retrouvent dans cette communauté. Ce faisant, Anna ouvre une boîte de Pandore qui va remodeler le petit monde qu’elle a voulu se créer.
« Ce film est une déclaration d’amour à cette enfance que j’ai eu dans une communauté dans une époque où les gens savaient être ensemble et partager. », explique Thomas Vinterberg. C’est intéressant de voir comment l’impression de cette communauté peut varier selon les gens. Á la projection de presse, certains critiques ont trouvé cette idée de communauté de vie très belle, d’autres l’ont trouvée datée. Personnellement, je ne lui ai trouvé que des défauts. Et pourtant nous avons tous vu la même maison avec les mêmes personnages. Le biais doit venir de la perception de la dynamique de ce groupe – et certainement du bain amniotique culturel dans lequel on a grandi. Vintenberg a voulu montré le côté passionnant de cette vie en communauté, certains l’ont vue une sorte d’âge d’or de liberté perdue, et d’autres n’y ont vu que l’égoïsme collectif sacrifiant l’individu qui ne rentre plus dans le schéma.
À la décharge de la communauté, il faut admettre qu’elle n’est pas celle typique que l’on peut s’imaginer, par exemple à Christiana. Erik n’accepte cette vie que pour sa femme et rapidement on remarque qu’il a des problèmes avec la place qui lui est à présent dévolue : ne plus être au centre du regard d’Anna. C’est probablement pourquoi, lorsqu’il va entrer dans le champ de vision d’une de ses étudiantes, il va y être attirer.
« C’est un film sur l’impermanence des choses. », dit également le réalisateur. Cet aspect du film est extrêmement bien rendu, que ce soit dans le drame que va vivre le couple comme au niveau de la maison dans laquelle la vie se déroule, avec ses joies et ses drames.
Une chose frappante dans ce récit, c’est la place des enfants… qui n’en n’ont pas vraiment en tant qu’enfant mais en tant que mini-adultes. L’impression est que personne ne s’occupe d’eux, ils ne parlent pas, interagissent peu mais sont toujours présents que ce soit pendant les « réunions de maison » où les décisions concernant la communauté se prennent, lors des disputes, etc. Ce sont les yeux témoins des tribulations des adultes. Cette non-éducation a quelque chose de dérangeant dans le miroir qu’elle tend aux adultes déresponsabilisés, auto-centrés, concernés par leur seuls problèmes ou aspirations. Cela amènera d’ailleurs Freja a rapidement prendre son indépendance et à s’avérer à la fin du film la plus censée et empathique lorsqu’il s’agira de trouver une solution salvatrice pour sa mère comme pour la communauté.
Dans le rôle d’Anna, la fabuleuse Trine Dyrholm – qui reforme avec Ulrich Thomson le couple de Festen. Elle développe le personnage avec une telle profondeur que chaque situation et évolution de son caractère est en tous points crédible. Un magnifique jeu d’actrice… il faudrait conseiller à Isabelle Huppert de regarder ce film…
Pourquoi le cinéma danois est de manière générale si piquant : pour cette magnifique lumière que l’on retrouve dans bon nombre de films scandinaves et pour les happy-end à la danoise qui ne ressemblent en rien à ceux sirupeux d’Hollywood – qui se sont répandus dans les cinémas du monde aussi sûrement que les chaînes de consommation alimentaires étasuniennes – mais touche plutôt la réalité tout en laissant le spectateur décider lui-même si l’histoire fini bien ou non. Kollektivet ne déroge pas à cette règle ni dogmatique ni automatique, et c’est très bien comme cela.
De Thomas Vinterberg ; avec Trine Dyrholm, Ulrich Thomson, Helene Reingaard Neumann, Martha Sofie, Wallstrøm Hansen, Lars Ranthe, Fares Fares, Magnus Millang, Anne Gry Henningsen, Julie Agnete Vang ; Danemark/Suède/Pays-Bas ; 2015 : 111 min.
Malik Berkati, Berlin
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