Berlinale 2016 – Compétition jour #9: United States of Love et A Dragon Arrives !
Nous voilà rendus au dernier jour de la compétition qui a commencé par un film polonais un peu neurasthénique, puis hors compétition une comédie certes joyeuse mais flirtant avec une certaine tristesse de la réalité – Saint-Amour (qui donne matière avec Gérard Depardieu à la citation du jour), pour finir cette 66è compétition par un ovni venu d’Iran – sorte de policier-western aux confins de l’absurdie.
Zjednoczone Stany Milości / United States of Love
D’amour, il n’y en a pas beaucoup dans le film de Tomasz Wasilewski… Il est plutôt question d’une quête désespérée d’amour qui par instant est difficile à supporter, ce qui est une bonne nouvelle pour le réalisateur qui atteint ainsi son objectif narratif.
Le récit se déroule au début des années 90, lors de la phase de transformation de la société polonaise après l’éclatement du bloc soviétique. Les lieux publics changent de nom, les premiers touristes occidentaux arrivent, l’église reprend un rôle central dans le quotidien, les hommes émigrent pour mieux gagner leur vie…
Mais dans la sphère privée, peu de changements. La vie continue, avec le travail, la famille, des espoirs, des désirs, des déceptions…
Ce film fait le portrait de 4 femmes qui habitent une petite ville de province : Agata ne supporte plus son mari et se sent attirée par un prêtre, Iza la directrice de l’école veut avoir son amant pour elle toute seule, Renata la professeure de russe est mise à la retraite et recherche la présence de sa jeune voisine Marzena qui, elle, rêve d’une carrière de top model.
Les quatre histoires sont interconnectées et en même temps se suffisent à elles-mêmes. Le problème principal dans ce genre d’histoire se trouve dans le lien entre les histoires, ainsi que de les rendre aussi intéressantes les unes que les autres. Malheureusement, le fil du récit général est parfois un peu flou, voire déconcertant, quand des personnages disparus dans une histoire réapparaissent dans une autre. Mais surtout, le traitement est inégal, l’histoire de Renata et de Marzena étant certainement les plus intéressantes. Dommage qu’elles ne soient développées que vers la fin du film…
Peu d’amour, peu d’espoir également… que manque-t-il aux gens en définitive ? À peu près tout de ce qui relève de l’affectif. Cette vision radicale de la relation entre les humains qui ne semble pouvoir jamais s’affranchir du sentiment de solitude est triste mais pas inintéressante à regarder.
À noter le remarquable travail de saturation des couleurs des images qui donne cette froide et magnétique lumière typique des films polonais. De manière générale d’ailleurs, le travail de cinématographie dans cette 66è édition est riche et varié, il sera certainement difficile au jury de choisir l’Ours d’argent de la catégorie meilleure contribution artistique/technique cette année !
De Tomasz Wasilewski ; avec Julia Kijowska, Magdalena Cielecka, Dorota Kolak, Marta Nieradkiewicz, Lukasz Simlat, Andrzej Chyra, Tomek Tyndyk ; Pologne/Suède ; 2016 ; 104 min.
Ejhdeha Vared Mishavadi / A Dragon Arrives !
Alors pour finir en beauté, la compétition a fini en beauté! C’est-à-dire avec de magnifiques images et musiques dans un film au genre non-identifié explosant de couleurs.
Une histoire à dormir debout que personne n’a comprise, dans un mélange passant allégrement d’une sorte de thriller-western au documentaire, oscillant entre le milieu des années 60 et le temps présent : ce dragon n’est décidément pas facile à appréhender. Le commissaire Babak Hafizi avec sa Chevrolet Impala orange part dans le désert sur l’enquête d’un suicide mystérieux qui a eu lieu dans une épave de bateau. Chaque fois qu’un mort est enterré dans le cimetière devant l’épave, un tremblement de terre micro-localisé se produit. L’inspecteur extrêmement intrigué veut savoir pourquoi et va commencer des recherches avec un ingénieur du son et un géologue. 50 ans plus tard, le matériel récolté par les 3 acolytes ainsi que des enregistrements de la police secrète sont retrouvés dans une boîte, ce contenu prouvant que les trois protagonistes avaient été arrêtés. Mais pourquoi ?
On peut y voir une métaphore du régime oppressif du Shah d’Iran avec sa police secrète et les horreurs qui traînent dans son sillage, on peut imaginer des références culturelles et/ou mythologiques que l’on ne connaît pas mais qui feraient sens…
Il a donc fallu se rabattre sur la conférence de presse pour savoir de quoi il en retournait… et la réponse du réalisateur iranien Mani Haghighi est extraordinaire d’aplomb: « je présente un objet énigmatique au public. Oui cela ressemble à une métaphore, mais difficile de dire de quoi. Il y a une signification flottante. C’est comme si je vous offrais un rêve et c’est à vous de chercher qu’elle sorte d’interprétation vous en feriez pour vous-même. » Il ajoute même que pour lui le meilleur public est celui qui n’a pas de références préalables ce qui permet de mieux « se couler dans le vortex que j’ai essayé de créer, une œuvre d’art entre l’imagination et l’histoire. » Haghighi cherche à renverser le rapport réalisateur-public en disant qu’en réalité, « ce n’est pas à moi de répondre à vos questions, mais je devrais vous demander ce que vous ressentez en voyant ce film, quelle signification vous lui donnez. En fait je suis en recherche de réponses. » Il est évident que le cinéaste est très heureux de son petit effet : « Je pose cet objet que vous n’avez jamais vu sous cette forme devant vous et vous vous tournez vers moi pour me demander ce que j’ai voulu dire. C’est là que commence mon plaisir », répète-t-il hilare.
Quoi qu’il en soit ce film est à la fois magnifiquement absurde, audio-visuellement poétique et malicieux dans son jeu de pistes avec le spectateur. Si vous le voyez, n’hésitez pas à nous donner vos interprétations !
De Mani Haghighi ; avec Amir Jadidi, Homayoun Ghanizadeh, Ehsan Goudarzi, Kiana Tajammol, Ali Bagheri ; Iran ; 2016 ; 107 min.
Malik Berkati, Berlin
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