Berlinale 2018 – compétition jour #8: Touch Me Not
Les fins de festivals sont difficiles pour les critiques et les programmateurs, même si cela n’est pas facile, devraient faire attention aux placements des films, car cela peut devenir rapidement injuste pour un film, son réalisateur et son équipe quand la patience et l’endurance des journalistes est mise à rude épreuve ! Sont compris dans cette catégorie, les films de trois heures et plus et les films expérimentaux, voire les deux ensembles ! En ce 8e jour, hors compétition, le remarquable documentaire du cinéaste suisse Markus Imhoof – Eldorado – sur un jour peu abordé encore, les causes de cette vague. Second film, Museo, dont ma collègue Anne-Christine Loranger a écrit la critique. Dernier film de la journée : Touch Me Not, un film expérimental d’Adina Pintilie.
Touch Me Not
Pourquoi ce film en compétition ? C’est la première question que l’on se pose. La compétition de la Berlinale n’est pas réputée pour faire la course au cinéma mainstream, mais de là à empiéter sur la section Forum, justement là pour ouvrir le public à des formes nouvelles, exigeantes ou expérimentales du cinéma, il est un pas que le comité de sélection n’était pas obligé de franchir.
Comme hier avec Mein Bruder heisst Robert, und er ist ein Idiot, mais avec cinquante minutes en moins, ce qui fait tout de même 125 longues minutes, nous avons droit à des platitudes, non plus sur le temps, mais sur la liberté, le bien et le mal, la sexualité, l’amour… À croire que c’est l’année des cinéastes-philosophes-à-leurs-heures-perdues et aux nôtres aussi. Bien sûr, on exagère un peu. Mais c’est parce que l’on prend à la lettre l’une des injonctions du film: « il faut toucher sa colère et la crier ».
Petit florilège :
« Aimer sans se perdre soi-même, c’est un défi. »
« Il n’y a pas de bien ou de mal à exprimer ses émotions, ce que l’on ressent est simplement un fait. »
« La liberté est un enfer de quêtes. »
Et la meilleure, dans un test pré-SM :
Lui : « J’ai goûté ta larme. Je suis un fétichiste des larmes. » Elle : « Tu manques de sel. »
Fluidité entre fiction et réalité
Ce film est avant tout un projet artistique qu’Adina Pintilie a développé avec ses acteurs. Elle se met elle-même en scène en chercheuse – elle apparaît la plupart du temps dans un moniteur, l’aspect jeux d’écrans, de miroirs et de perspectives et d’ailleurs l’un des plus intéressant du film – avec ses protagonistes dans un projet ayant pour sujet l’intimité, ce qui va nous permettre de suivre le voyage intime de Laura, Tómas and Christian qui vont s’ouvrir, et par la même occasion nous ouvrir, un large pan de leur vie. L’intimité est une chose qu’il recherche, pour certain-e-s désespérément, mais qui en même temps leur fait peur. Ils travaillent sur eux-mêmes, avec les autres protagonistes et avec Adina Pintili pour vaincre les vieux schémas, les mécanismes de défense et les tabous dans lesquels ils sont enfermés. Plus on avance dans le film, plus les choses deviennent crues, la nudité du début fait place à des scènes de sadomasochisme ou de dark rooms des plus licencieuses.
Pour faire évoluer le projet sur la longueur et maintenir ses protagonistes dans le sujet, puisque le film a été tourné sur une longue période et par phases, elle leur a demandé d’écrire des journaux intimes, de filmer avec de petites caméras des choses de leurs vies, et elle a très régulièrement skyper avec eux en enregistrant leurs conversations.
Cela était comme un laboratoire. La fiction procurait un espace de sécurité, comme un filet, dans lequel on a pu travailler et développer le sujet.
Cette analyse thérapeutique cinématographique, si elle rebute beaucoup de gens (les journalistes sont sortis par vagues de la salle), est parfaitement en mesure d’intéresser un public averti qui de plus aiment les projets radicaux : même si le résultat est ampoulé, l’idée et le processus – dont on peut suivre les grandes lignes à travers le film – ne sont pas inintéressants.
De Adina Pintilie; avec Laura Benson, Tómas Lemarquis, Christian Bayerlein, Grit Uhlemann, Hanna Hofmann, Seani Love, Irmena Chichikova; Roumanie, Allemagne, République tchèque, Bulgarie, France; 2018; 125 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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