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Berlinale 2020 – Panorama Dokumente : Si c’était de l’amour, de Patric Chiha, sur le making-of de a pièce de danse de Gisèle Vienne «Crowd»

Si c’était de l’amour, de Patric Chiha, nous laisse croire inutilement que l’on assiste au making-of de la création d’un spectacle chorégraphique – Crowd, de Gisèle Vienne -, puis, progressivement, le film se déplace vers un portrait plus intime de ses interprètes.
Sans trop comprendre ce qui nous arrive et à notre corps défendant, on se lasse envahir par l’émotion, libre d’interpréter le film comme le spectacle avec nos propres outils de lecture, vu que Patric Chiha choisit délibérément de ne pas en faciliter la compréhension ni d’éclaircir le mystère de ce travail de création mais nous invite à pénétrer la scène et ses protagonistes dans leur évolution et leurs circonvolutions pour en explorer les abîme.

Si c’était de l’amour de Patric Chiha
© Aurora Films

Si c’était de l’amour suit la pièce de danse de Gisèle Vienne, Crowd, qui vire rapidement à une soirée techno délirante – comme le veut ce genre musical-, inondée de mouvements répétitifs, de rencontres physiques et émotionnelles entre quinze corps chargés d’énergie sexuelle.

En effet, ils sont quinze jeunes danseurs – Philip Berlin, Marine Chesnais, Kerstin Daley-Baradel, Sylvain Dessoler, Sophie Demeyer, Vincent Dupuy, Massimo Fusco, Nuria Guiu Sagarra, Rehin Hollant, Georges Labbat, Oskar Landström, Theo Livesey, Louise Perming, Katia Petrowick, Anja Röttgerkamp, Jonathan Schatz, Gisèle Vienne, Henrietta Wallberg, Tyra Wigg -, d’origines et d’horizons divers. Ils sont en tournée pour danser Crowd, une pièce de Gisèle Vienne (artiste, chorégraphe, plasticienne et metteuse en scène franco-autrichienne, N.D.L.R.) sur les raves des années 90. En les suivant de théâtre en théâtre, Si c’était de l’amour documente leur travail et leurs étranges et intimes relations. Car les frontières se troublent. La scène a l’air de contaminer la vie – à moins que ce ne soit l’inverse. De documentaire sur la danse, le film se fait alors voyage troublant à travers nos nuits, nos fêtes, nos amours.

Pendant les huit premières minutes sur les quatre-vingt-deux minutes que dure le documentaire, les danseurs sont filmés individuellement ou par deux puis, progressivement, le champ s’agrandit pour filmer tout le groupe telle une foule, le tout sur une musique techno à basses assourdissantes qui semble plonger les spectateurs au coeur d’une rave party.

Puis, on entend la voix off de Gisèle Vienne qui invite sa troupe  à «travailler les rotations et chercher le souffle commun.» Râles, soupirs, souffle haletant, mouvements ralentis, dans un symbiose gestuelle et quasi orgasmique entre ces jeunes qui semblent atterrindre l’extase alors que les basses de la techno montent en puissance.

La caméra nous maintient plongés au cœur de la chorégraphie, en zoomant à plusieurs reprises pour permettre un aperçu du processus de répétition. À travers des conversations individuelles entre les  jeunes interprètes, nous apprenons l’histoire de fond de leurs personnages. Ainsi, dans une sorte de mise en abîme, les personnages de la chorégraphie deviennent les personnages du film : il y a un garçon trans, un garçon «nazi» qui désire un garçon gay, une fille attirée par les gens en difficulté et une femme qui respire la sexualité brute. Les frontières entre la réalité et la fiction commencent à devenir troubles à l’instar des relations entre ces quinze jeunes.

La musique électronique intense accompagne les corps extatiques qui se déplacent au ralenti avec peu à peu un effet hypnotique et anesthésiant sur les spectateurs comme en proie à un surplus d’endorphone. Est-ce le rythme des basses, répétitifs et de plus en plus assourdissant, qui produit cet effet ? Par le truchement de la captation, le film devient une rave et une extension de la scène sur laquelle se produit cette jeune troupe internationale exaltante éclairée au néon.

Si c’était de l’amour de Patric Chiha
© Aurora Films

Au fil du documentaire, les danseurs deviennent aussi auteurs, offrant en support leur corps et leur voix à leurs histoires intimes dans des confidences qui nous révèlent que le désir se prolonge hors de la représentation. En coulisse, devant la caméra du cinéaste, les artistes se confient l’un à l’autre, comme sur l’oreiller après l’amour. Des confidences, voire des confessions à l’intense et brulante sensualité qui fait partie intégrante de leur être tant sur scène que dans la vie réelle. Ces confidences finissent par provoquer un sentiment de malaise auprès des spectateurs qui se retrouvent piégés dans ce processus voyeuriste, par exemple quand Gisèle Vienne demande avec insistance au jeune Theo, un « garçon bizarre » qui attire Katia ; »Qu’as-tu fait avec Katia hier soir ? »

Patric Chiha franchit avec aisance les frontières  entre le spectacle  et les coulisses, révélant avec sa caméra l’effusion des corps, le trouble  des pensées et le chaos des relations et des émotions.

Seul moments de répit dans cette acoustique assourdissante : les moments de relaxation induits par Gisèle Vienne quand elle invite ses danseurs à « relâcher leur dos, leur sacrum et à d’implanter dans le sol. » Un moment de répit qui est aussi bienvenu pour le spectateur. Poursuivant son exploration de l’aliénation, de l’hyper-sensualité, de la violence émotionnelle, de la tendresse humaine et de l’importance de la sexualité, en particulier queer), Patric Chiha crée un film novateur, révélateur d’une génération en recourant  à des vibrations acoustiques et des sonorités intenses.

Le cinéaste autrichien d’origines hongroise et libanaise Patric Chiha, né en 1975 à Vienne, a fait des études de stylisme de mode à l’ESAA Duperré (Paris) et de montage à l’INSAS (Bruxelles), puis réalise plusieurs courts et moyens métrages. En 2009, il réalise son premier long métrage, Domaine, avec Béatrice Dalle, sélectionné à la Mostra de Venise. Suivent Boys Like Us (2014) et le documentaire Brothers of the Night (2016), sélectionné à la Berlinale. Actuellement, il prépare son prochain film de fiction, La Bête dans la jungle.

de Patric Chiha; avec Gisèle Vienne ; France; 2020; 82 minutes

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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