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Berlinale 2021 – Berlinale Special : Courage du Biélorusse Aliaksei Paluyan nous entraîne dans le cœur battant de la résistance pacifique – Entretien avec le cinéaste

Le documentaire d’Aliaksei Paluyan s’ouvre sur des images de manifestations réprimées violement, il semble qu’il y a des morts et disparus. On se dit, tiens !, les images semblent un peu passées de couleurs, les gens n’ont pas tout à fait l’allure de ceux d’aujourd’hui, et puis tout à coup apparaît à  l’écran Loukachenko jeune ! Et on réalise que ces images n’appartiennent pas à la collection de celles que l’on voit dans nos journaux télévisés depuis août 2020, avec l’élection truquée qui vaut au pays d’immenses manifestations violemment réprimées depuis lors, ainsi que le départ en exil des principales figures de l’opposition qui n’ont pas encore été arrêtées, mais fait partie de l’iconographie socio-politique de la Biélorussie depuis l’arrivée de son président-dictateur en 1996 !

Courage d’Aliaksei Paluyan
© Living Pictures Production

Le décor est planté : la résistance à l’oppression ne date de l’été passé mais dure depuis 25 ans, et nous allons suivre les manifestations récentes dans le sillage de Maryna Yakubovich, Pavel Haradnizky et Denis Tarasenka qui, il y a quinze ans, frustrés par le régime autoritaire, ont quitté le Théâtre d’État de Minsk pour se produire dans le tout nouveau Théâtre libre du Belarus, avec la désobéissance civile comme impératif moral. Parallèlement aux manifestations, Aliaksei Paluyan nous fait entrer dans l’univers fascinant des répétitions – avec un metteur en scène en exil, Nokola Kalezine, qui les dirige à travers Skype –  et des représentations de la pièce jouée actuellement sur les femmes et la prison dans le Belarus contemporain, ainsi que des incises dans la vie privée des actrices et acteurs, témoignages précieux de leurs idéaux, mais aussi de leurs doutes et de leurs interrogations légitimes sur la limite qu’ils et elles doivent poser à leur courage, des conséquences qu’ils et elles doivent endosser, pour eux-mêmes ainsi que pour leurs proches. Ainsi, Maryna Yakubovich dans une discussion avec son compagnon met le couple face à cette question existentielle :

où tout cela mène-t-il ? Qu’est-ce qui est le plus important pour notre enfant, qu’il perde un de ses parents, car cela peut arriver très facilement, qu’il vive dans un pays libre ou que l’on recherche un compromis si ses deux parents peuvent partir dans un autre pays?

Le père de l’enfant, dans une optique transgénérationnelle, lui répond que leurs parents leur ont laissé le fardeau  porter sur leurs épaules, ils sont à leur tour parents : faut-il abandonner et laisser également le fardeau aux prochains ?

Manifestations et théâtre politiques

Comme une mise en abîme, à l’image des vies réelles prises entre la routine quotidienne et les activités clandestines, nous assistons à une seconde pièce qui fait écho aux événements qui se déroulent et qui reprend une ancienne pièce qui porte sur les politiciens de l’opposition qui ont disparu et sur la perte de tout moyen d’existence pour celles et ceux qui restent. Car en Biélorussie, quiconque ose s’exprimer risque la répression, voire la mort, physique ou sociale. Ayant pris la décision consciente de « trahir l’art », comme il le dit lui-même, Denis Tarasenka a renoncé à jouer pour protéger sa famille. Mais il ne peut, comme les autres, s’empêcher d’observer et de rendre compte des manifestations qui secouent le pays, et comme dans toute dictature, même ceux qui ne font qu’observer représentent un danger pour le régime, car observer c’est savoir et pouvoir témoigner.

— Maryna Yakubovich – Courage
© Living Pictures Production

Au cours des manifestations de masse qui les entraînent dans les rues pour exiger haut et fort la liberté d’expression, le changement de pouvoir et le droit à vivre dans une démocratie, des membres de la troupe de théâtre et de nombreuses autres personnes sont arrêtés ; le déroulé pacifique est brutalement réprimé par l’appareil de sécurité du régime, plus particulièrement par ses troupes directement rattachée au Ministère de l’Intérieur, la redoutée unité spéciale de police OMON.
Avant le jour des élections, le metteur en scène en exil réunit toute la troupe devant l’écran d’ordinateur pour leur parler du 9 août et de la préparation à faire avant d’aller manifester pour que des avocats et des personnes relais soient prêtes (il y existe un protocole d’exfiltration, un réseau pour les faire passer en Ukraine ou en Pologne en cas de danger d’arrestation imminente); il les prévient toutefois, que pour la continuité du théâtre, ils ne peuvent pas se permettre que tou.te.s les commédien.nes soient arrêté.es en même temps ! Cette réflexion fait écho à la discussion passionnante qui s’engage en filigrane dans le documentaire concernant la place et l’importance de l’art et des artistes (au niveau individuel) dans les processus de résistance.

Le terme courage est effectivement le seul mot qui vient au regard de ces images des forces de l’ordre cagoulées, portant de larges lunettes de protection, des casques, armées jusqu’aux dents, comme s’ils étaient en zone de guerre : on dirait les stormtroopers de Dark Vador ! Sauf que l’on n’est pas dans un film hollywoodien, mais devant un centre d’arrêt où des familles, en tenues estivales avec pour seule arme leur désespoir, essayent d’avoir des nouvelles de leurs proches arrêtés ou disparus. Dans cette scène comme dans de nombreuses autres où les manifestants font vaillamment face aux forces de l’ordre, on entend régulièrement les gens interpeller les policiers, les sortir du collectif dans lequel ils sont enfermés et les individualiser en leur criant «  vous avez prêté serment! », en leur demandant s’ils servent le peuple ou obéissent à des ordres criminels, en leur signifiant qu’ils sont responsables de leurs actes, que personne ne peut les obliger à taper sur les gens, qu’ils peuvent décider eux-mêmes de ce qui est juste de faire.

Courage d’Aliaksei Paluyan
© Living Pictures Production

Revenons à cette ancienne pièce qui date de 12 ans et qui est plus pertinente que jamais : elle est présentée au public, à travers Skype, par Irina Krasovskaya, celle qui l’a jouée à l’origine et qui est basée sur sa propre expérience d’activiste pour libérer des prisonniers politiques. Actualisée, la pièce met la Biélorussie sur la carte mondiale des pays où des disparus hantent les mémoires collectives, au Sri Lanka, en Argentine, en Irak, aux Philippines, etc.  Elle explique à l’audience combien c’est difficile de résister mais qu’il ne faut pas baisser les bras, qu’ils finiront pas vaincre.

Irina Krasovskaya termine son intervention par : « Vive le Belarus ! »  – et le public lui répond en écho.

Aliaksei Paluyan a bien voulu répondre à quelques questions

Ces dernières années, dans de nombreuses régions du monde, nous avons assisté à des soulèvements de peuples contre leurs dirigeants qui les maintiennent par la force et la répression violente dans un état de dictature ou d’autocratie. Selon vous, d’où vient le courage dont vous parlez et que vous illustrez parfaitement dans votre film, qu’est-ce qui fait que l’on surmonte sa peur et que l’on prend son courage à deux mains pour aller manifester sa rage et sa colère malgré l’extrême danger, qu’il soit physique ou social ?

C’est une question très difficile à laquelle je n’ai pas de réponse exacte. Je pense que « le courage » dont je parle à travers mes héros dans le film, est ce sentiment lorsque vous avez un énorme sentiment de peur, mais l’incapacité de rester à l’écart lorsque vous voyez l’horreur qui a régné dans les rues de votre pays pendant plus de 26 ans, la peur elle-même est emportée … C’est peut-être ça le courage, quand on surmonte la peur, qu’on y va malgré tout.

J’ai été particulièrement frappé par une scène où un jeune membre des forces de police met des fleurs dans son bouclier, à la suite de quoi les manifestants fraternisent avec lui : s’agit-il d’une scène exceptionnelle ou s’est-elle produite à plusieurs reprises ? Sait-on ce qu’il est advenu de ces policiers qui ont fait preuve d’empathie ?

Cette scène est également très émouvante pour moi. À ce moment-là, de nombreuses personnes venues au Parlement ont sincèrement cru à ces jeunes soldats qui, à mon avis, voulaient délibérément montrer qu’ils sont vraiment avec le peuple, qu’ils ne soutiennent pas la brutalité dont font preuve les autorités du Belarus. Je peux vraiment imaginer que ces jeunes soldats ont eu de gros problèmes après cela. Peut-être même ont-ils été punis. Pendant le tournage de Courage, il était très important pour moi de regarder dans les yeux de ces jeunes soldats, car les yeux ne peuvent pas mentir. Je pense que vous avez probablement aussi découvert à quel point il était difficile pour ces jeunes recrues de se tenir devant leur propre peuple. Ils se sentaient eux-mêmes très mal.

Courage d’Aliaksei Paluyan
© Living Pictures Production

Vous remettez les manifestations de l’année dernière dans leur contexte, à savoir que la résistance politique et sociale contre Loukachenko existe depuis la fin des années 1990 alors qu’en Europe de l’ouest, nous avons pris conscience de la situation que l’été passé. A votre avis, qu’est-ce qui a fait que cette fois-ci, le barrage médiatique a été passé ?

C’était ma décision consciente, il était très important pour moi de montrer que la résistance du peuple dure depuis très longtemps, plus de 26 ans. Par conséquent, la déclaration de Denis « Rien n’a changé depuis 1996 » est un message très important non seulement pour le public biélorusse, mais aussi pour le public du monde entier. Le vide informationnel que le régime de Loukachenko a construit pendant des décennies a fonctionné très harmonieusement, très peu d’informations sont passées dans les médias internationaux. Pourquoi les manifestations de protestation au Belarus ont-elles brisé le blocus de l’information cette année ? Tout est devenu flagrant lorsque presque tous les secteurs de la société sont descendus dans la rue pour protester contre l’impunité des meurtres de manifestants pacifiques, une telle vérité ne peut être cachée.

Le film impressionne par le sentiment d’immersion qu’il procure. Les images des manifestations ont-elles été réalisées spécialement pour le film ou s’agit-il d’une sélection d’images provenant directement des militants ?

Toutes les images, à l’exception du matériel d’archives, ont été filmées par nos soins. Il était important pour moi de filmer par observation, afin de donner au spectateur l’immersion la plus profonde possible dans l’événement.

Pouvez-vous nous donner des nouvelles des membres du Théâtre libre du Belarus ?

Le Théâtre libre du Belarus poursuit son travail malgré la répression et d’énormes pressions. Ils continuent les représentations théâtrales. Pavel et Denis ont été arrêtés pendant un concert de leur groupe musical RSP, après 15 jours ils ont été libérés de prison. J’admire leur courage, ainsi que le courage du peuple biélorusse.

D’Aliaksei Paluyan; avec Maryna Yakubovich, Pavel Haradnizky, Denis Tarasenka; Allemagne; 2021; 90 minutes.

Malik Berkati

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