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Berlinale 2021 : Tabija (La forteresse blanche), d’Igor Drljača, présenté dans la section Generation, suit le quotidien chaotique d’un adolescent qui survit entre débrouillardise et contrats illicites

Sarajevo, qui essaie tant bien que mal de renaître de ses cendres. Un jour, un garçon est apparu. Personne ne savait d’où il venait. En grandissant, le garçon a commencé à rêver de la forteresse blanche. Une légende assure que si de jeunes gens se retrouvent à la forteresse blanche et de leur rencontre naît le véritable amour, ils pourront visiter toutes les villes de la Vallée d’Or. C’est ce qu’a fait ce jeune homme dans l’espoir de trouver le véritable amour. Une lente mélodie de piano résonne dès le générique d’ouverture et accompagne la première séquence qui balaie d’un plan large les bâtiments préfabriqués de Sarajevo. Dans la pénombre d’une chambre d’un HLM, un jeune couple se quitte : il fume, assis au bord du lit en demandant à la jeune fille d’âtre discrète en partant. Avec Tabija (La forteresse blanche), Igor Drljačales décrit avec poésie les aspirations romantiques des jeunes et documente simultanément de manière directe et sans fioritures l’atmosphère de Sarajevo d’après-guerre.

— Pavle Čemerikić – Tabija (The White Fortress)
© TABIJA FILM INC.

Dans la banlieue délabrée d’Alipasino Polje à Sarajevo, Faruk (Pavle Čemerikić) est un orphelin qui vit avec sa grand-mère malade et passe ses journées à chercher de la ferraille et à se lancer dans la petite délinquance.  En fin de journée, Faruk retourne chez sa grand-mère en train de regarder une femme jouer du piano sur scène : la date de l’enregistrement indique le 12 février 2004. D’après les échanges entre la grand-mère et son petit-fils, on comprend qu’il s’agit de la fille de l’une et de la mère de l’autre, disparu alors que Faruk était tout petit. Sa mère était pianiste soliste à l’Orchestre philharmonique de Sarajevo. Faruk se bat comme beaucoup de ses pairs pour tenter d’échapper à la pauvreté, essayant de compléter la maigre pension sa grand-mère : on le retrouve dans un parc où il rejoint un homme un peu lus âgé que lui, avachi sur un banc public, caché derrière des lunettes de soleil, et qui lui fait des reproches sur son retard puis lui donne une adresse. Faruk enfourche un scooter et prend la route.

Faruk, l’adolescent orphelin des quartiers pauvres, rencontre Mona (Sumeja Dardagan), qui vient d’une Sarajevo complètement différente: des villas modernes et hermétiquement fermées à la périphérie. Un garçon rencontre une fille un thème universel qui sera un fil rouge romantique dans la torpeur et la langueur asphyxiante de la Sarajevo post-guerre. Tabija oscille entre film de gangsters, thriller et romance, avec des touches de documentaire dans un récit qui juxtapose les genres et les strates narratives.

Entre Faruk qui sert de chauffeur à une jeune fille qui, de toute évidence, vend ses charmes pour un maquereau et Mona qui faire des photographies dans le but d’émigrer au Canada, deux mondes diamétralement opposés se côtoient, mais les spectateurs cernent rapidement le quotidien des jeunes de Sarajevo, entre débrouillardise, petites combines et contrats illégaux. Dans le marasme de la capitale bosniaque, on survit sans foi ni loi.

Trempant dans des affaires toujours plus en troubles pour survivre, Faruk passe ses journées aux côtés de son acolyte, Almir (Kerim Cutuna), pour exécuter les contrats qu’on leur confie. Le reste du temps, dans l’attente de nouvelles missions, Faruk passe ses matinées devant des films sur la seconde guerre mondiale durant la présence de l’armée allemande en Bosnie-Herzégovine, fume et reçoit un appel de …. Mona. Dénué de toute attache, sans doute pour se protéger d’une réalité abrupte, Faruk tombe imperceptiblement amoureux de Mona, une collégienne qu’il était censé recruter pour son « employeur ». Au fil des jours, Mona et Faruk se rencontrent de plus en plus échangeant et apprenant à se connaître. Tous deux semblent avoir beaucoup en commun, particulièrement des idéaux. Mona et Faruk se rendent à la forteresse blanche qui surplombe Sarajevo et d’où ils regardent la ville dans la vallée dorée, sur un monde dans lequel leur avenir semble incertain. Simultanément à la déclaration de Faruk à Mona, il y a aussi une déclaration d’amour pour Sarajevo, magnifiquement filmée au coucher du soleil, de nuit puis au lever du soleil, sous les rayons chatoyant de l’astre qui enrobe de tons chauds la cité qui s’éveille. Peut-être un message empli de promesses et d’optimisme pour cette génération sacrifiée ?

— Sumeja Dardagan, Pavle Čemerikić – Tabija (The White Fortress)
© TABIJA FILM INC.

Igor Drljača, cinéaste et producteur né à Sarajevo dans l’ex-Yougoslavie en 1983, est professeur adjoint à l’Université de la Colombie-Britannique, au Canada. En 2011, Igor Drljača, a obtenu une maîtrise en production cinématographique de l’Université York où il a également enseigné. Son travail, dont les courts métrages Woman in Purple et The Fuse: or How I Burent Simon Bolivar, ont remporté de nombreux prix et ses films ont été projetés dans des festivals internationaux. Krivina, son premier long métrage, a été présenté en première à Toronto en 2012, The Waiting Room à Locarno en 2015 et son documentaire The Stone Speakers à la Berlinale 2019 dans la section Forum.

Cette histoire d’amour improbable entre deux adolescents désabusés se déroulant dans l’actuelle Sarajevo souligne les facettes tant lumineuses qu’obscures d’un jeune homme qui survit à Sarajevo. Si l’histoire d’amour semble traverser le film de bout en bout, les multiples facettes du protagoniste amène le réalisateur à mêler les genres – thriller mystérieux, drame social, conte de fées – comme pour enrober les différentes vies de Faruk dans une fluidité narrative qui porte les spectateurs au-delà de tout genre particulier.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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