Berlinale 2022 – Forum : Cette maison, premier long métrage de la Québécoise Myriam Charles, fait sa première mondiale dans la section Forum
Connue pour ses courts métrages, la réalisatrice québécoise d’orgiene haïtienne, Miryam Charles dévoile au public Cette maison, son premier long métrage, un film très personnel, qui rend hommage à sa cousine, décédée dans des circonstances tragiques en 2008.
Bridgeport, janvier 2008 : une adolescente est retrouvée pendue dans sa chambre. Alors que tout porte à croire au suicide, le rapport d’autopsie révèle tout autre chose. Dix ans plus tard, la réalisatrice et cousine de l’adolescente, Myriam Charles, se penche sur les causes passées et les conséquences futures de ce crime non élucidé. Sa mort écorche le présent, a changé le cours du passé, lui a ôté un avenir tout en imprégnant celui de ses proches, tout particulièrement de sa mère.
La réalisatrice a cru avoir fait le deuil de sa cousine après tant d’années mais, en se replongeant sur ce drame pour entamer ce premier long métrage, elle réalise qu’une telle perte peut être impossible à saisir, à accepter, à surmonter. Avec Cette maison, Myriam Charles suit les lignes tracées par trois temporalités qui se croisent et se chevauchent dans un dialogue entre l’ici et l’au-delà. Dès l’ouverture du film, une adolescente – Tessa (Schelby Jean-Baptiste) – déclare :
« Ce que l’on propose, des histoires inventées mais pas si éloignées du réel. Une annonce des histoires à venir. Nous installerons la possibilité d’un voyage fluide dans le temps et dans l’espoir – en Haïti, aux États-Unis et au Canada. »
L’intention est claire mais elle n’avertit guère les spectateurs des fluctuations tant temporelles qu’émotionnelles dans lesquelles Cette maison va les entraîner. Telle une biographie imaginée d’une jeune fille fauchée prématurément, le film explore, naviguant entre documentaire et fiction, la relation fluctuante entre la sécurité de l’espace de vie et la violence qui peut le mettre en péril. Cependant, Myriam Charles laisse à son public la liberté de dessiner des frontières ou de laisser le récit s’échafauder dans une fluidité enivrante.
L’adolescente poursuit :
« On fabule. On tente d’écrire une histoire, une autre histoire. Une histoire impossible. »
Une chanson en créole accompagne des images de paysages à la végétation luxuriante : on est sur l’Ile d’Haïti. Puis, de dos, dans un cadre, au sens propre, tel un tableau, qui donne sur la mer et ses roulis la mère (Florence Blain Mbaye) et la fille admirent cette nature qu’elles aiment tant et discutent. On les retrouve dans une chambre fleurie : la mère et la fille se parlent, la fille compose un bouquet et e tend à sa mère. La complicité et la tendresse transpercent l’écran.
Par intermittences, le choix formel emprunté par Myriam Charles rappelle une mise en scène de théâtre. La cinéaste plonge dans le passé pour mieux scruter l’avenir de sa cousine, avec Tessa, vue comme la jeune femme qu’elle n’est jamais devenue, tenant des conversations oniriques avec sa mère bien après que le drame soit survenu.
Par le jeu d’actrices et d’acteurs – Schelby Jean-Baptiste, Florence Blain Mbaye, Eve Duranceau, Nadine Jean, Tracy Marcelin, Mireille Métellus et Matthew Rankin qui jouent « des moments réels et imaginés » de la vie de sa cousine, Myriam Charles l’imagine jeune adulte vivant des expériences qu’elle na pas eu le temps de connaître et s’interrogeant sur son assassinat.
À travers les lieux de migration de sa famille – Haïti, le Canada et les États-Unis – la culture haïtienne reste prégnante à travers les chants, les discussions de famille te l’importance accordée aux être chers disparus qui demeurent présents dans le quotidien des vivants. Cette maison propose un voyage à travers le temps – les temps, devrait-on dire – et l’espace : une maison délabrée à Haïti, une voiture criblée de pluie dans le Connecticut, des résultats référendaires dans un salon de Laval.
Une évidence s’impose à l’issue de la projection : Cette maison touche et émeut les spectateurs qui éprouvent la conviction que ce voyage dans le temps va bien au-delà de l’hommage à sa cousine disparue et apportera réconfort aux proches de l’adolescente. Cette histoire très personnelle pour Miryam Charles s’inscrit parfaitement dans le registre de l’essai documentaire, oscillant harmonieusement entre documentaire et fiction. La réalisatrice précise au sujet de son premier long métrage :
« Je suis partie de cet événement qui a beaucoup marqué ma famille pour créer une lettre d’amour autant à ma cousine qu’à sa mère. J’essaie de lui rendre hommage avec le film. »
Un film à la fois triste, tendre, émouvant et lumineux !
Firouz E. Pillet
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