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Berlinale 2022 – Panorama : Une Femmina (The Code of Silence), mi-Madone mi-déesse vengeresse, de Francesco Costabile

Souvent, à juste titre, en regardant les actualités télévisées, on se dit que l’on a bien de la chance d’être né.e et d’habiter dans nos contrées dans lesquelles, même si tout est loin d’être parfait, il existe la possibilité de sortir du déterminisme de classe ou de genre. Or, dans nos contrées, où l’on se targue volontiers d’être les garants des valeurs humanistes universelles, on a une grande faculté à cacher les ordures sous une chape de plomb. Francesco Costabile nous amène à quelques encablures de chez nous, en Calabre – à la fin de la projection, on se dit : on a bien de la chance de ne pas être né.e et d’habiter ce magnifique village de montagne sous l’emprise absolue de la ‘Ndrangheta !

— Lina Siciliano – Una Femmina (The Code of Silence)
© O’Groove

Rosa (Lina Siciliano) a perdu sa mère, qui se serait suicidée, lorsqu’elle était enfant. Elle vit avec sa grand-mère (Anna Maria De Luca), son oncle Salvatore (Fabrizio Ferracane) et sa famille depuis toujours, cependant, une ombre dans ses relations avec eux plane. Elle ne sait pas ce qui la travaille inconsciemment, mais petit à petit, le souvenir du suicide de sa mère implémenté dans sa mémoire par sa grand-mère et son oncle se déforme. Devenue une jeune femme, des rêves aux images oppressantes viennent hanter ses nuits. Les circonstances de la mort de sa mère deviennent de plus en plus précises, Rosa commence à regarder son entourage différemment, à ouvrir les yeux sur l’environnement dans lequel elle vit, à observer les activités dont les femmes sont exclues la nuit tombée. Comme un voile devant ses yeux qui se déchire, elle prend conscience de l’agressivité latente des hommes qui maintient le comportement des femmes dans une retenue stoïque. Et si cette retenue s’effrite, la violence se déchaîne. La configuration du bourg correspond à celle de leurs vies, aux rues sinueuses, étriquées, peu éclairées. On n’y voit pas grand monde, mais on perçoit les regards qui traversent les murs épais des maisons. Le danger peut sortir de partout.

— Anna Maria De Luca et Beatrice Strangers – Una Femmina (The Code of Silence)
© O’Groove

Le film dédie à toutes les victimes de la ‘Ndrangheta et à toutes les femmes rebelles, Una Femmina se base sur des faits réels et le livre de Lirio Abbate (qui a participé à l’écriture du scénario) Fimmine Ribelli (2013). Une fois n’est pas coutume, cette histoire de mafia est racontée depuis le point de vue féminin. Francesco Costabile explique sa démarche :

Le concept n’est pas issu d’un personnage réel particulier mais a été inspiré par les nombreuses histoires du livre. Toutes les femmes qui ont eu le courage de rompre les liens du sang et les codes de la ‘Ndrangheta, l’organisation criminelle qui a construit son empire sur la force du noyau de la société, comme un archétype jungien : la famille. L’emprise psychologique, l’oppression ainsi que l’extorsion domestique sont les fondements de l’univers de Rosa. Ce film est avant tout une histoire de famille.

Rosa, dont la rage coule dans ses veines, va prendre la voie empruntée une décennie avant elle par sa mère – celui de la révolte et de la rupture. Plusieurs fois acculée, poursuivie, rattrapée dans ses tentatives, elle va élaborer un plan de radical de vengeance, contre son propre sang, consistant à faire imploser le fragile équilibre structurant les familles de cette cellule criminelle.

— Simona Malato et Luca Massaro – Una Femmina (The Code of Silence)
© O’Groove

Le travail de réalisation est maîtrisé et raffiné, avec une lumière qui permet au directeur de la photographie Giuseppe Maio de ciseler les personnages dans ce paysage brut et bellissime, et un design sonore (Valerio Camporini Faggioni) qui accompagne parfaitement le récit dans l’angoisse, le suspense qu’il procure. Le travail avec de la musique concrète, des sons réels pour une expérience sensorielle pouvant s’insinuer dans le substrat émotionnel se conjugue avec de la musique traditionnelle qui nous plonge dans le cœur vibrant des montagnes calabraises.
Pour son premier film, Francesco Costabile fait preuve d’une grande maîtrise dans l’instillation d’un souffle dramatique qui traverse de part en part Una Femmina, avec une caméra qui insiste sur les regards, les visages, leurs expressions. La distribution frappe juste dans les choix des actrices et acteurs qui, loin des postures caricaturales du film mafieux, proposent nuances et ambivalences à leurs personnages. Lina Siciliano prête ses traits à Rosa, et on peine à croire que cette jeune femme n’est pas une actrice professionnelle, tant son incarnation incandescente brûle l’écran tendu au public.

Le visage de Rosa est à la fois celui d’une Madone et d’une déesse vengeresse ; il ne finit pas de nous hanter, longtemps après être sorti.es du cinéma et revenu.es à l’air libre !

De Francesco Costabile; avec Lina Siciliano, Fabrizio Ferracane, Anna Maria De Luca, Simona Malato, Luca Massaro; Italie ; 2022 ; 120 minutes.

Malik Berkati, Berkati

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Malik Berkati

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