Berlinale 2023 – Gala Special : La comédie romantique de Rebecca Miller, She Came to Me, ouvre la Berlinale…
… et c’est embarrassant ! Cela ne participe pas d’un dédain mandarinal que de le souligner. Bien sûr, les comédies romantiques ont toute leur place dans l’industrie du cinéma – elles font même partie des genres qui entraînent le plus de spectateurs et spectatrices dans les salles et rapportent donc le plus d’argent – mais lorsqu’elles sont sélectionnées dans un des plus grands festivals internationaux, il s’agirait quand même que l’œuvre présentée ait quelques qualités autres que son nombre de vedettes. L’année passée, pour ne prendre que ces exemples, dans la même section avait été présenté Good Luck to You, Leo Grande de Sophie Hyde, avec Emma Thompson, qui réussissait à allier un propos traité dans la légèreté sans perdre de profondeur thématique, ainsi que des comedien∙nes au sommet de leur art, bien dirigé∙es ; idem pour la comédie suisse Last Dance de Delphine Lehericey, présenté à Locarno 2022.
Hélas, dans She Came to Me, pas l’ombre d’une proposition cinématographique. Le vide sidéral, avec un scénario qui coche toutes les cases des leviers de personnages-stéréotypes amenant des situations et des interactions sur un mode pilote-automatique, mille fois vues. Pire, ce vaudeville à l’étasunienne, se traîne avec deux de tension, la réalisatrice tenant visiblement à donner à ces vedettes un temps de jeu proportionné, elle étend ses scènes, pompant elle-même l’énergie et les dynamiques de la comédie.
Le compositeur Steven Lauddem (Peter Dinklage) est en pleine crise artistique : il ne parvient pas à terminer son prochain projet d’opéra. À la demande de sa femme Patricia (Anne Hathaway), maniaque de la propreté, obsessionnelle et psychorigide, qui fut sa thérapeute lors d’une précédente crise, il part, avec son chien en laisse, à la recherche de l’inspiration dans la rue. La caricature pointe dès les premières images : l’artiste torturé et dépressif, la thérapeute encore plus perturbée que ses patient∙es. Nous ne sommes pas au bout de nos peines : un autre couple entre en scène, composé de Magdalena (Joanna Kulig), une femme de ménage polonaise, et son mari Trey (Brian d’Arcy James), un sténographe, passionné par les fins de semaines passées à jouer des reconstitutions historiques grandeur nature. Évidemment, Magdalena n’a pas encore la nationalité étasunienne, elle, et sa fille Tereza (Harlow Jane) sont donc dépendantes du bon vouloir de cet homme ultraconservateur. Boum ! Deux autres personnages tracés au gros feutre, avec le cliché des clichés : la femme de ménage polonaise ! Quand on demande à Rebecca Miller en conférence de presse si elle n’a pas l’impression de pousser un peu le poncif, elle répond :
Ce personnage est basé sur quelqu’un que je connais.
Il vaut certes mieux entendre cela que d’être sourd, mais il faut quand même se pincer pour être sûr de ne pas avoir fait un micro-sommeil et cauchemarder. Quand on se targue, comme la réalisatrice étasunienne, de faire du cinéma d’auteur, il faudrait peut-être revoir son processus d’écriture et de créativité… Quoiqu’en y réfléchissant un peu, peut-être que le personnage de Steven soit inspiré de sa propre personne, le compositeur trouvant le succès en transposant des éléments de ce qu’il a vécu sur scène. Possible que Rebecca Miller ait une femme de ménage polonaise et qu’elle préfère transposer plutôt que transformer la vie dans l’art…
N’en jetons plus, la cour est pleine… oui, mais non : Tereza, la fille de la classe moyenne inférieure et Julian (Evan Ellison) le fils de Patricia, de la classe moyenne supérieure, sont amoureux. Quand on sait que Julian est métis, on a le combo gagnant : préjugés de classes et racisme.
Le seul personnage un peu punk – et écrit – de ce long métrage est celui de Katrina (excellente Marisa Tomei ), une capitaine de remorqueur addicte à la romance et à l’amour, qui va mettre le bazar dans l’univers de ce petit monde névrosé.
Ce qui aurait pu être un persiflage, un conte ironique, un bonbon acidulé à laisser fondre sur la langue pour activer les papilles s’avère être un téléfilm de Noël, investi de joli∙es acteurs et actrices qui tentent d’incarner comme ils et elles le peuvent des personnages ectoplasmiques, un caramel mou sucré qui colle aux dents, qui doivent être bien accrochées pour arriver jusqu’au générique où l’on entend Bruce Springsteen interpréter la chanson originale du film, Addicted to Romance, qu’il a également écrite !
De Rebecca Miller; avec Peter Dinklage, Marisa Tomei, Joanna Kulig, Brian d’Arcy James, Anne Hathaway, Harlow Jane, Evan Ellison; 2023; USA; 102 minutes
Malik Berkati, Berlin
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