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Berlinale 2024 – Generation Kplus : Los Tonos mayores (The Major Tones), d’Ingrid Pokropek, propose un film «coming of age », entre réalité et irréel

Le premier long métrage de l’Argentine Ingrid Pokropek suit avec délicatesse la vie d’une adolescente qui dérive entre le monde réel et les mystères qui entourent son existence.

— Sofía Clausen – Los tonos mayores (The Major Tones)
© Gong Cine / 36 Caballos

Ana (Sofía Clausen), quatorze ans, vit à Buenos Aires avec son père Javier (Pablo Seijo), artiste et enseignant qui consacre sa vie à sa fille et à son meilleur ami, Alfonso (Walter Jakob). À la suite d’un accident, Ana doit se faire poser une prothèse métallique sur l’un de ses avant-bras. Pendant ses vacances d’hiver, l’adolescente remarque quelque chose d’étrange : comme si son bras était une antenne, son poignet commence à recevoir des pulsations codées qui s’apparentent à des messages en code Morse. Les signaux sont répétés chaque jour, mais avec une fréquence différente. Ana sollicite différentes amies pour comprendre les messages qu’elle reçoit, dont ceux de Lepa (Lina Ziccarello) qui joue du piano et lit le solfège. Avec son aide, et une séance de radiesthésie, la jeune femme passe ses journées à tenter de déchiffrer le code énigmatique qui sort de son corps et compose une mélodie, The Heartbeat Song, inspirée des signaux rythmiques. Serait-ce une chanson ? Un appel provenant d’endroits inattendus ? Serait-ce un jeu ? Ou un simple problème de prothèse ? D’ailleurs, son pédiatre lui propose de la changer, mais Ana redoute cette opération de peur de ne plus recevoir de messages. Heureux de retrouver Mariana (Mercedes Halfon), un ancien amour, de retour en Argentine, le père d’Ana ne cerne pas les vicissitudes que traverse sa fille.

Comme dans ses courts métrages, Ingrid Pokropek s’appuie sur la fiction pour aborder les questionnements et les doutes du début de l’adolescence et rendre hommage à la géographie de la capitale argentine. Buenos Aires est ici un protagoniste à part entière et la cinéaste promène le public dans les divers quartiers de la capitale au gré des pérégrinations d’Ana. Dans Los tonos mayores, le fantastique éclate peu à peu et envahit le récit avec la même intensité avec laquelle Ana se lance dans l’aventure de sa vie pour résoudre cette énigme.

La réalisatrice argentine accorde une attention particulière au mouvement à travers sa protagoniste qui parcourt la ville à la recherche d’une réponse. Diverses scènes suivent les personnes en mouvement – la bande d’élèves qui se rendent à l’Atomium, les amies dans les autos-tamponneuses et ce regard qu’elle pose sur les corps, réfléchit la physicalité de la ville.

Une nuit, une dispute avec Lepa amène Ana à errer seule dans la ville. Une rencontre fortuite avec un jeune soldat, Pablo (Santiago Ferreira), avec lequel elle se lie d’amitié. Le jeune homme interprète les pulsations d’Ana et les transforme en chansons suggérant qu’elles sont des rendez-vous. Les messages de morse révèlent une série mystérieuse et énigmatique de chiffres et de mots. Après avoir réalisé que son bras est une antenne vers un mystère, Ana est déterminée à décoder les mots.

De manière subtile et poétique, le film fluctue entre l’émotionnel et l’inexplicable, entre le réel et le fantastique, laissant pointer quelques touches oniriques que nombre de cinéastes comme d’écrivains argentins ont magnifié. On songe à Eliseo Subiela, Fernando Solanas, Jorge Luis Borges, Silvina Ocampo ou encore Adolfo Bioy Casares.

Ingrid Pokropek sait dépeindre avec justesse l’imagination débordante de l’adolescence. En filigrane, le public comprend que cette quête vitale résulte d’une absence et du besoin existentiel de la combler en recréant un lien invisible par le truchement de ces pulsations. Le montage de Miguel de Zuviría transcende les états émotionnels d’Ana, en particulier sa fragilité et sa détresse, et la musique de Gabriel Chwojnik enveloppe le récit d’une atmosphère mystérieuse, peut-être inquiétante pour l’adolescente. Les circonvolutions relationnelles et sentimentales des personnages, avec Ana comme aimant central, sont magnifiquement mises en relief par la photographie d’Ana Roy et deviennent plus pertinentes à la tombée de la nuit. L’intrigue trouve sa résolution et atteint son climax en l’absence de lumière du jour, renforçant l’idée de mystère que l’esprit d’Ana nous transmet par sa fraîcheur juvénile et sa spontanéité.

À mesure qu’Ana chemine sous nos yeux, nous grandissons avec elle de la même manière qu’elle découvre la complexité des relations des adultes. Quand on suit la jeune fille qui étudie, scrute, collecte les indices que lui livrent ces messages pulsés, on songe inévitablement au protagoniste de Trenque Lauquen, interprété par Mariano Llinás, qui cherchait des indices et des réponses sur les cartes de l’Argentine. L’onirisme semble faire partie de l’ADN du cinéma comme de la littérature du pays.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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