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Berlinale 2024 : Plus politique que jamais !

Le Festival international du film de Berlin est considéré, aux côtés de Cannes et de Venise, comme l’un des plus grands festivals internationaux de films – et il demeure le plus important en termes de fréquentation publique. Sa particularité réside dans son caractère à la fois très politique et ouvert au public, se distinguant ainsi des deux festivals rivaux qui privilégient le glamour de leurs tapis rouges. Cela fait partie intégrante de son ADN ; la Berlinale, année après année, se trouve impactée par les événements politiques, que ce soit au niveau de sa programmation ou de ses relations avec les autorités locales et fédérales. En cette édition, un feu d’artifice de polémiques jette une lumière crue sur le festival, reléguant momentanément les propositions artistiques de la sélection dans l’ombre.

— Mariëtte Rissenbeek directrice exécutive, Carlo Chatrian directeur artistique de la Berlinale
© Malik Berkati

Ouverture du spectacle pyrotechnique : l’éviction de Carlo Chatrian

À la clôture de la Berlinale 2023, Mariette Rissenbeek, la directrice exécutive du festival, avait annoncé qu’elle ne solliciterait pas le renouvellement de son mandat de cinq ans, arrivant à son terme en 2024. Pendant ce temps, Carlo Chatrian exprimait son désir de poursuivre sa direction artistique du festival. Aux yeux des observateur∙trices, il était évident que Chatrian aurait peu de chances de maintenir sa position. Trouver un nouveau binôme était compliqué, et lui confier la direction complète semblait improbable malgré ses compétences artistiques indéniables.
Cependant, la manière dont Carlo Chatrian a été évincé de son poste est sujette à débat. La ministre d’État à la Culture, Claudia Roth, a décidé unilatéralement que sa position ne serait plus maintenue dans la future structure de la Berlinale, qui reviendrait à une direction unique. Chatrian en a été informé fin août. Malgré le soutien massif du monde du cinéma, illustré par une lettre ouverte signée par plus de 400 acteur∙trices du monde du cinéma, dont Martin Scorsese, Margarethe von Trotta, Radu Jude, Joanna Hogg, Hamaguchi Ryusuke, Claire Denis, Bertrand Bonello ou Kristen Stewart, Chatrian a pris la décision de quitter volontairement son poste.
Même si la gestion du festival par Chatrian suscite des débats, notamment en ce qui concerne sa communication et la création de la seconde section compétitive, Encounters (qui se veut être un contrepoint et un complément de la compétition, introduisant de nouvelles visions cinématographiques), qu’il considère visiblement comme sa section préférée et dont il s’occupe en priorité au détriment de la compétition officielle, il est essentiel de reconnaître que les deux directeur∙trices n’ont pas été favorisé∙es par les circonstances. Leur prise de fonction a coïncidé avec un festival se terminant juste avant le premier confinement européen dû au coronavirus. La deuxième édition s’est déroulée sous des règles strictes et contraignantes de l’État allemand concernant les mesures de sécurité contre le Covid-19.
Dans l’ensemble, la pandémie a contraint le duo à des restrictions drastiques. En plus de cela, des sponsors se sont retirés, certains cinémas de la Potsdamer Platz, le cœur du festival, ont fermé leurs portes, et l’Allemagne a connu une hausse astronomique des prix de l’énergie. En juillet 2023, l’annonce de coupes budgétaires importantes a été faite, avec une prévision de réduction d’environ un tiers du nombre de films présentés, passant de 287 à 200, et la suppression de deux sections.

— Cillian Murphy – Film d’ouverture Small Things Like These de Tim Mielants
© Shane O’Connor

L’Étasunienne Tricia Tuttle prendra les rênes de la Berlinale à partir d’avril 2024. Elle a notamment travaillé pour l’académie du film britannique Bafta et a dirigé le festival du film de Londres (BFI). Claudia Roth (Bündnis 90/Die Grünen), la ministre fédérale de la culture espère, entre autres, que cette nomination apportera de nouveau un peu de glamour sur le tapis rouge de la Berlinale.

Second tableau : le tumulte du monde

Depuis le 7 octobre 2023 et le massacre perpétré par le Hamas en Israël, la République fédérale d’Allemagne s’est distinguée par une politique de soutien inconditionnel à Israël. La ville de Berlin a même pris des mesures jugées totalement disproportionnées, telles que la création d’une clause « antidiscriminatoire » que tous les bénéficiaires de fonds publics de la ville devaient signer. Cette clause s’appuie sur la définition de l’antisémitisme donnée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Une polémique a éclaté lorsque le centre culturel berlinois Oyoun, au nom de cette clause locale, s’est vu retirer son financement public et a été contraint de fermer ses portes pour avoir accueilli un événement organisé par une association antisioniste, Jüdischen Stimme für einen gerechten Frieden im Nahen Osten (Voix juives pour une paix juste au Moyen-Orient). La clause a été suspendue le 22 janvier 2024 pour des raisons légales, mais le mal est fait – et à l’instar de la société, le monde culturel est polarisé.

La censure frappe également durement les artistes qui se prononcent en faveur des droits des Palestiniens à un État, à la sécurité, à la fin de l’occupation, ou même simplement à un cessez-le-feu. Le reste du pays n’est pas en reste, illustré par le cas de l’artiste juive sud-africaine Candice Breitz. Engagée en faveur des droits des Palestiniens, sa rétrospective prévue depuis deux ans au Saarlandmuseum (Saarbrücken) a été annulée.
Une forme de résistance à cette censure a émergé à travers le mouvement Strike Germany, qui, entre autres revedications, « demande que les institutions culturelles adoptent les directives plus précises, rédigées en réponse à l’IHRA, proposées par la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA). Les institutions culturelles doivent se baser sur la JDA pour contrer le climat répressif cautionné par l’ambiguïté de l’IHRA et orienter la lutte contre l’antisémitisme. »
C’est dans le cadre de ce geste politique que trois cinéastes – Ayo Tsalithaba, Suneil Sanzgiri et John Greyson –  ont retiré leurs films de la section Forum Expanded.

Bouquet final : l’extrême-droite allemande désinvitée de la cérémonie d’ouverture

La communication entourant ce dernier acte s’avère désastreuse. Comme chaque année, conformément à la tradition, la Berlinale avait envoyé 100 invitations au Sénat de Berlin et 200 invitations au ministère fédéral de la Culture, deux des bailleurs de fonds du festival, ainsi qu’aux représentants de l’administration et des parlements, incluant les présidents des groupes politiques et les porte-parole de tous les partis pour la politique culturelle. Le parti d’extrême-droite, l’Alternative für Deutschland (AfD), siégeant au Bundestag et au Sénat de Berlin depuis 2017, recevait ainsi chaque année des invitations. Cependant, dans un contexte national marqué par des manifestations de masse hebdomadaires contre ce parti depuis le scandale révélant la participation de certains de ses cadres à une réunion secrète à Potsdam en novembre, au cours de laquelle un projet d’expulsion de millions de personnes hors d’Allemagne (remigration) avait été discuté, et avec le parti faisant l’objet d’une surveillance partielle par l’Office fédéral de protection de la constitution, ces invitations ont suscité une vive réaction.
Face aux protestations et à une lettre ouverte signée par 200 acteurs et actrices du monde du cinéma, la Berlinale a, dans un premier temps, justifié ces invitations en expliquant qu’elles étaient automatiques. Cependant, dans le même communiqué, la direction a souligné que si les invitations étaient protocolaires, les valeurs portées par l’AfD étaient diamétralement opposées à celles que la Berlinale défendait. Elle a demandé aux membres de l’AfD de ne pas assister à la cérémonie. La polémique prenant de l’ampleur, avec des menaces de manifestations sur la Potsdamer Platz devant le tapis rouge, la Berlinale a finalement décidé, le 8 février, une semaine avant le gala d’ouverture, de désinviter les membres de l’AfD.

— Amos Gitai, Laurent Truchot, Irène Jacob – Shikun dans Berlinale Special
© Agav Films

La politique, un thème également prégnant du programme

Comme l’année dernière, la guerre en Ukraine occupera une place importante, avec le documentaire Turn in the Wound d’Abel Ferrara, présenté dans la section Berlinale Special. Ce film explore la vie dans le pays depuis le début de la guerre, avec la contribution de Patti Smith à la bande originale. Comme l’année passée, il y aura peut-être un message vidéo de Zelenski, cela reste à confirmer. Les autres sections présentent aussi des films qui traitent de l’Ukraine.
La situation au Moyen-Orient et en Iran occupe une place centrale dans la programmation. En compétition, un film iranien, Keyke mahboobe man (My Favourite Cake), de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha. Bien que les deux cinéastes étaient attendu∙es au festival, leurs passeports ne leur ont pas encore été délivrés par les autorités iraniennes. La réalité de la société israélienne sera explorée en profondeur avec Shikun, du réalisateur israélien Amos Gitaï. De plus, un documentaire poignant, réalisé par un collectif israélo palestinien composé de Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham und Rachel Szor, intitulé No Other Land, témoigne de la violence quotidienne, de l’injustice et de la situation d’apartheid résultant de la colonisation dans les Territoires occupés. . D’autres films abordant la région, y compris le Liban, sont également prévus dans différentes sections du festival.

Et la Suisse ?

Après deux années exceptionnelles de représentation du cinéma suisse à la Berlinale, la présence suisse se « normalise », avec la participation de sept films. Un film en coproduction avec l’Italie figure en compétition,  Gloria!, le premier film de la réalisatrice italienne Margherita Vicario. Le film relatel’histoire de la jeune Teresa vivant dans un pensionnat de jeunes filles à Venise à la fin du 18e siècle. Accompagnée d’un petit groupe de musiciens exceptionnels, elle traverse les siècles et défit le vieux régime poussiéreux en créant une musique rebelle, légère et moderne.
Les Paradis de Diane, coréalisé par les deux étoiles montantes du cinéma suisse, Carmen Jaquier (Foudre, 2022) et Jan Gassmann (99 Moons, 2022), sera présenté en première internationale dans la section Panorama. Les deux cinéastes remettent ici en question le mythe de la maternité, de l’instinct maternel et de la famille nucléaire et dépeignent une odyssée intérieure.
La compétition Generation Kplus présentera en première européenne du long métrage Reinas de Klaudia Reynicke, un drame familial se déroulant en 1992 à Lima et ce en pleine agitation politique.
En première mondiale, dans le cadre de la section Berlinale Special, la coproduction israélo-franco-suisse Shikun d’Amos Gitai, basée sur la pièce de théâtre d’Eugène Ionesco et mettant en scène l’actrice franco-suisse Irène Jacob, nous plonge dans l’émergence de l’intolérance et de la pensée totalitaire à travers une série d’épisodes quotidiens se déroulant dans un seul espace, situé au bord du désert israélien de Beer-Sheva.
Dans la section Forum, axée sur la réflexion sur le médium cinématographique et le discours social et artistique, la coproduction italo-suisse Il Casseto segreto de Costanza Quatriglio explore l’histoire de son père journaliste. Également à l’affiche, Reas (Argentine, Suisse, Allemagne), une comédie musicale hybride de la réalisatrice argentine Lola Arias, consacrée à un collectif de personnes cis et trans. Dans le cadre du Forum Special, le documentaire Techqua Ikachi, Land – Mein Leben (Techqua Ikachi, La Terre – ma Vie, Suisse, RFA, 1989) sera présenté, restauré numériquement par l’Arsenal – Institut du film et de l’art vidéo allemand.

— Dorothée de Koon – Les Paradis de Diane de Carmen Jaquier et Jan Gassmann dans la section Panorama
© 2:1 Film

Du 15 au 25 février, la 74e Berlinale ouvre ses portes sur un paysage cinématographique extrêmement vaste, tant en ce qui concerne l’origine géographique des œuvres sélectionnées dans les différentes sections, que les formes cinématographiques proposées et la diversité des histoires et visions du monde présentées. Le jury sera présidé par l’actrice mexicano-kényane Lupita Nyong’o.
Quelques stars feront le déplacement à Berlin, notamment Martin Scorsese, qui recevra l’Ours d’honneur de cette année, ainsi que Cillian Murphy, Rooney Mara, Carey Mulligan, Kristen Stewart, Gael García Bernal, et Isabelle Huppert, pour n’en citer que quelques-unes parmi les plus connues.

Comme chaque année, retrouvez dans nos pages quotidiennes les critiques et interviews réalisées par l’équipe de j:mag sur place.

Bonne chasse à l’Ours !

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Malik Berkati

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