Berlinale 2025 – Compétition : El mensaje (The Message) d’Iván Fund – Un film-poème, ode à la tendresse
À mille lieues des films d’apprentissage codifiés, où chaque étape balise le parcours du personnage en devenir, le cinéaste argentin Iván Fund nous entraîne dans un road movie qui conjugue des éléments artistiques oxymoriques : la poésie, l’expressionnisme et le naturalisme.
© Iván Fund, Laura Mara Tablón, Gustavo Schiaffino / Rita Cine, Insomnia Films
Sur les chemins poussiéreux de la campagne argentine, à bord d’un vieux van aménagé, trois personnages traversent villes, villages et paysages ruraux. Le don de la jeune Anika (interprétée avec une sensibilité remarquable pour son âge par Anika Bootz) pousse ses tuteurs, Miriam et Roger, à proposer des consultations de médium pour animaux de compagnie – vivants ou morts – afin de subvenir à leurs besoins.
Après la projection, un confrère a posé une question sur le film. Nous avons ensuite échangé sur ses qualités, et j’ai évoqué la lumière magnifique, ce soleil surgissant d’un ciel nuageux ou filtrant à travers les arbres. Il m’a alors répondu : « Quelles magnifiques couleurs ! » C’était sans doute le plus beau compliment que l’on pouvait faire à ce film… car il n’est absolument pas en couleurs, mais en noir et blanc ! Mon confrère avait probablement été si emporté par le film qu’il y avait projeté ses propres couleurs.
Le directeur de la photographie, Gustavo Schiaffino, accomplit un travail époustouflant sur les contrastes, sans jamais les forcer : la lumière glisse entre le blanc et le noir, toute en nuances et en douceur. Le choix du noir et blanc s’est rapidement imposé entre le cinéaste et son chef opérateur.
« Je voulais que cette histoire soit une expérience cinématographique, qu’elle effleure la réalité de manière expérimentale, qu’elle devienne une fable de cinéma. Gustavo m’a dit : “Tu sais, les images en noir et blanc sont éternelles.” Il était dès lors évident que nous allions tourner ainsi », explique-t-il.
Gustavo Schiaffino ajoute : « Chaque film a un centre névralgique. Ici, ce sont les relations émotionnelles entre les personnages, et le noir et blanc permet de moduler les impressions qu’elles suscitent. »
Une autre particularité du film réside dans son économie de dialogues. Ici, toutefois, le silence n’est pas un symptôme d’absence de communication, mais un vecteur de lien, de complicité dans les regards, d’attention à l’autre, tout en préservant une part de mystère. À cet égard, Roger (Marcelo Subiotto) est maître-économe de ses mots. Il accompagne le voyage, tient les comptes de la famille et fait office de protecteur, mais ce n’est que fortuitement que nous devinons quelques bribes de sa biographie, notamment à travers des photos trouvées par Anika, montrant un cirque avec jongleurs et clowns. De son côté, Miriam (Mara Bestelli) est une sorte de « mère de scène », ce qu’on appelle en anglais une stage mother. C’est elle qui met en avant le don d’Anika, lui trouve du travail, l’accompagne chez les gens, leur explique le processus et envoie les messages vocaux pour celles et ceux qui font des demandes en ligne… Elle organise tout, sans jamais exercer de pression sur Anika.
Certes, au début du film, on se demande si ce don est réel ou si cette petite troupe arnaque les gens. Peu à peu, cette question s’efface. Car, au fond, peu importe. Il s’agit avant tout de la tendresse prodiguée par une enfant encore pétrie de candeur, dans un monde en marge – à la fois géographiquement et socialement.
La finesse de l’écriture d’Iván Fund se manifeste également dans la construction des personnages : il n’est jamais clairement dit qui est qui. Même lorsque la petite troupe se rend dans un hôpital psychiatrique, le doute plane sur la personne qu’ils viennent voir : la fille de Miriam ? La mère d’Anika ? Le réalisateur souligne : « Je ne ferme jamais les portes dans mes films. Quand je façonne des personnages, je ne les définis pas, je les accompagne, je les aide à se construire. Je crois fermement au droit au mystère des personnages ! »
© Iván Fund, Laura Mara Tablón, Gustavo Schiaffino / Rita Cine, Insomnia Films
The Message interroge notre perception des animaux et le mystère qu’ils incarnent, dans un monde où notre relation avec la nature est de plus en plus distante. « De nos jours, les animaux sont presque des entités fantastiques, et le film propose une rencontre avec leur présence émotionnelle. Et oui, cela passe par l’innocence d’un enfant, car nous avons tou·te·s eu — du moins, cela m’est arrivé — ce fantasme, enfants, de pouvoir parler aux animaux. Ce n’est pas naïf de penser que les enfants sentent instinctivement qu’ils appartiennent à la communauté des êtres vivants », confie le réalisateur, dont le film peut être perçu comme un plaidoyer pour un peu plus de tendresse dans un monde de brutes.
« Je voulais raconter une histoire sur ce moment particulier de l’enfance où un enfant s’affirme et décide qu’il peut réconforter et transmettre quelque chose aux adultes, qu’il a la volonté de guérir quelque chose. Ce moment où, enfant, on réalise qu’on fait partie d’un tout — et que dans ce processus, on trouve sa voix. »
Un film d’une beauté, d’une sensorialité et d’une douceur rares au cinéma. On en ressort apaisé·es — le temps que le fracas du monde nous rattrape une fois nos téléphones rallumés —, l’air de Always On My Mind des Pet Shop Boys en fond sonore dans notre esprit, un sourire aux lèvres et les yeux encore émerveillés par cette dernière scène, bouleversante mais dénuée de tout pathos, entre Anika et Miriam, et le message qu’elle lui délivre.
De Iván Fund; avec Mara Bestelli, Marcelo Subiotto, Anika Bootz, Betania Cappato ; Argentine, Espagne, Uruguay ; 2025 ; 91 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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