Cannes 2017 – compétition: Les proies de Sofia Coppola
Le film de Sofia Coppola suscitait de nombreuses attentes tant auprès de la presse internationale que des festivaliers qui se demandaient si cette nouvelle interprétation du roman de Thomas Cullinan (1919-1985) serait à la hauteur du film réalisé par Don Siegel, sorti en 1971. Bien évidement, Sofia Coppola a respecté le contexte et le contenu du roman : alors que la guerre de Sécession touche à sa fin, John MacBurney, un soldat nordiste blessé et sur le point de mourir, est secouru par une adolescente de douze ans d’un pensionnat sudiste pour jeunes filles. Au départ, les employées du pensionnat et leurs élèves sont effrayées, mais lorsqu’il reprend des forces, il devient l’objet du désir de la directrice, de son assistante et de quelques-unes des pensionnaires. Cette situation sert la stratégie de survie du soldat mais les jalousies, dans ce microcosme féminin à la sexualité réprimée, risquent de prendre un tour dramatique. Tous ces éléments de désir refoulé, de convoitises et de concupiscence se retrouvent chez Sofia Coppola mais n’atteignent en rien l’intensité des tensions du film de Siegel dans lequel Clint Eatwood excellait. Il s’agissait de leur troisième collaboration, ce qui peut expliquer une mise en scène très réussie. Sofia Coppola a beau collaborer avec Kirsten Dunst en la filmant avec une passion dévorante, le résultat laisse à désirer. Pour sa défense, avouons que le film de Siegel était si réussi qu’il était audacieux et périlleux de vouloir prétendre faire mieux. Dans l’original, Dove She is a Pretty Bird, chanson populaire américaine, est interprétée dans les génériques de début et de fin par Clint Eastwood.Après de nombreux rôles de héros, Clint Eastwood endossait un personnage antipathique qui connaît une fin tragique. Le décor historique (guerre de Sécession) n’était qu’une trame de fond à un huis clos psychologique au suspense bien mené, jouant sur des éléments sexuels et raciaux relativement osés (relation avec une mineure, inceste entre la directrice et son frère, viol de la servante noire par ce même frère).
Chez Coppola, le contexte historique semble prendre plus d’importance. Le soldat de l’Union John McBurney (Farrell, convaincant) est blessé et pris par un séminaire de filles dirigé par Martha Farnsworth (Nicole Kidman, trop jeune pour le rôle). Sa présence est un boulon électrifiant du bleu pour les sept résidentes de l’école, y compris l’enseignante Edwina (Kirsten Dunst) et l’adolescente rebelle Alicia (Elle Fanning). Pendant ce temps, John commence à manipuler ses hôtes féminins, en essayant d’ébranler leur loyauté. Pour l’étudiante la plus jeune, Anna, il est une figure paternelle, mais pour Martha, Edwina et Alicia, il est un pétard de promesses sexuelles. Lorsque ce pétard finit par exploser, des violences se produisent, cette situation chargée mène inévitablement à la catharsis.
Quelles sont les prétentions de Sofia Copola à l’écran? Un photographie léchée qu souligne les scintillements dans les préparatifs chauds et éclairés aux chandelles des dîners de séminaire, les hôtes coiffées et ornées de rubans de satin luxueusement noués autour des tresses. La photographie rêveuse de Philippe Le Sourd met particulièrement bien en valeur ces scènes d’habillement: les filles entourent Kidman pour leurs prières du soir dans un souffle de tons pastels, en contraste étroit avec Farrell dans un bleu marine Yankee. Mais ces rêveries sur la féminité que livre Coppola – une scène d’accouplement assez désolante – ne marquent guère les esprits et s’oublient dès la sortie de la salle.
On en vient à regretter que les places, si chères à Cannes, soient consacrées aux habitués de manière convenue au lieu de laisser place à un renouveau qui serait le bienvenu.
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