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Cannes 2018 : « Gräns », d’Ali Abbasi, ou un récit troublant qui se joue des frontières

Ali Abbasi, né en Iran mais installé en Suède, sort son second long métrage après le thriller produit au Danemark Shelley (présenté à la Berlinale 2016 dans la section Panorama, NDLR) sur un couple sans enfant et leur belle-mère roumaine.

Tina (Eva Melander), une garde-frontière au flair infaillible pour identifier les contrebandiers mais au faciès hideux, se retrouve face à une personne qu’elle a bien du mal à cerner : Vore l’attire et la répulse, la trouble mais titille son flair infaillible. Tina ne parvient pas à le désigner comme coupable ou non. Le cinéaste iranien, Ali Abbasi, formé à la Danish Film School, concourt dans la section « Un certain regard » avec Gräns (Border). Il est certain qu’avec ce second long métrage, le regard d ce cinéaste est particulier, à la fois attrayant et dérangeant.

— Eero Milonoff et Eva Melander – Gräns (Border, Frontière)
© Meta Spark&Kärnfilm AB 2018

L’action dans Border se déroule à une frontière maritime, à un poste de douane où travaille Tina, défigurée par un masque en silicone redoutablement effrayant mais fort réussi, et dont le jeu impressionne par les détails de véracité de son interprétation. Il est question ici de frontières entre les genres narratifs : tout d’abord, de frontières dans le récit qui slalome entre le thriller, la romance et le fantastique, mais du fantastique à la scandinave; il est ensuite question de frontières entre les genres sexuels : Tina est, a priori, une femme dotée d’un pénis alors que Vore est, a fortiori, un homme doté d’un vagin qui expulse régulièrement des créatures apparentées à des bébés, qu’il conserve au réfrigérateur; enfin, il est question de frontières entre les humains qui ont progressivement pris le pouvoir sur les trolls qui crient vengeance.

Le titre étant légitimé – Gräns (Frontière) – revenons à nos moutons ! Ou plutôt, nos renards, nos biches, notre cheval, bref, toute l’Arche de Noé qui défile de la fenêtre de la chambre de Tina qui semble les attirer et qui détecte leur présence des kilomètres à l’avance. Son sixième sens lui a permis de se faire une réputation de fin limier puisqu’elle a prouvé à maintes reprises, grâce à son flair redoutable, qu’elle peut détecter le moindre criminel, en particulier les pédophiles. Mais le jour où elle rencontre Vore, avec lequel elle partage des similitudes physiques, sa vie bascule d’abord dans une romance puis, progressivement, de manière imperceptible, dans le fantastique.

 

Ce drame d’amour sombre avec des éléments surnaturels, est l’adaptation du roman éponyme de John Ajvide Lindqvist, le romancier suédois connu pour son roman horrifique Låt den rätte komma in (Laisse-moi entrer) qui a été adapté dans les films Morse (2008) et Laisse-moi entrer (2010).

Ici, le fantastique est présent mais de manière plus discrète que dans Morse : Tina peut sentir quand quelqu’un essaie de cacher quelque chose. Les rumeurs de ses capacités se répandent parmi les policiers, et elle est embauchée pour trouver des preuves d’un réseau pédophile. Jusqu’à ce moment, les spectateurs crochent au récit et éprouvent même une certaine curiosité à en savoir plus. Mais quand le mystérieux inconnu surgit du bac où elle travaille, et que Tina doute pour la première fois de ses sentiments, nous nous mettons aussi à douter. Tina soupçonne que Vore cache quelque chose, mais elle ne peut pas mettre le doigt sur quoi. Et elle réprouve une terrible attirance pour lui. En effet, Vore distille à la fois une aura troublante et un malaise palpable, presque inquiétant, une ambivalence remarquablement incarnée par l’acteur Eero Milonoff, au jeu ambigu et dérangeant malgré un constant rictus de satisfaction.

— Eero Milonoff et Eva Melander – Gräns (Border, Frontière)
© Meta Spark&Kärnfilm AB 2018

Ali Abbasi a écrit le scénario avec Isabella Eklöf et John Ajvide Lindqvist. Ali Abbasi a cependant conservé l’esprit très scandinave du récit de John Ajvide Lindqvist, un récit peut-être trop scandinave aux dires de certains journalistes, toutes nationalités confondues, à l’issue de la projection de presse où la film a suscité des réactions très mitigées, soit des éclats de rires – peut-être nerveux quand Vore gratouille des écorces pour récolter des larves dont il se délecte aussitôt – soit des râles de consternation.

Une seule certitude à la sortie de la salle obscure : ne pas se fier aux apparences ! Les trolls demeurent des créature monstrueuses peu amicales ou agressives, comme le relate le folklore scandinave, même quand le troll a l’air bien accoutumé aux mœurs des humains.

Pour le reste, le film d’Ali Abbasi laisse perplexe même si les questions de genres divers qu’il pose initialement auraient pu être intéressantes. Malheureusement, le récit prend une tournure qui se détourne de ces réflexions initiales pour se perdre dans un miasme folklorico-pittoresque qui laisse indifférent. dommage !

Firouz E. Pillet

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