Cannes 2018 : Présenté en compétition au Festival de Cannes 2018 le dernier opus de Jean-Luc Godard , « Le livre d’image », offre un vibrant hommage au septième art, une véritable anthologie.
En 2014, Jean-Luc Godard avait déconcerté les festivaliers de la Croisette avec Adieu au langage, en 3 D : Une femme mariée et un homme libre se rencontrent. Ils s’aiment, se disputent, les coups pleuvent. Un chien erre entre ville et campagne. Les saisons passent. L’homme et la femme se retrouvent. Le chien se trouve entre eux en train de batifoler sur les rivages d’un lac, sans doute le Lac Léman. En 2018, le cinéaste est revenu en compétition au Festival de Cannes, avec à la clé une Palme d’or spéciale, avec Le livre d’image, un vibrant hommage au cinéma qui propose une succession d’extraits, d’environ cinq à dix secondes chacun, avec la voix off du maître qui exprime ses réflexions :
Te souviens-tu encore comment nous entrainions autrefois notre pensée ?
Le plus souvent nous partions d’un rêve…
Nous nous demandions comment dans l’obscurité totale
Peuvent surgir en nous des couleurs d’une telle intensité
D’une voix douce et faible
Disant de grandes choses
D’importantes, étonnantes, de profondes et justes choses
Image et parole
On dirait un mauvais rêve écrit dans une nuit d’orage
Sous les yeux de l’Occident
Les paradis perdus
La guerre est là…
Le Livre d’image de Jean-Luc Godard, n’a pas failli à la règle de la traditionnelle conférence de presse avec son réalisateur … qui refuse toute interview et ne quitte plus ses pénates depuis de nombreuses années et a donc choisi de répondre aux questions des journalistes par … FaceTime !
À quatre-vingt-sept ans, le réalisateur de Pierrot le fou – affiche de la 71ème édition du Festival de Cannes – et de À bout de souffle était à nouveau en compétition sur la Croisette quatre ans après avoir glané le Prix du Jury pour Adieu au langage. Décidément, l’histoire d’amour entre le cinéaste et le festival est digne de ses héroïnes.
En ce 12 mai 2018, Godard a donc décidé de répondre aux questions des journalistes directement via FaceTime,créant ainsi un événement sans précédent, à marquer dans les annales saugrenues du festival. Contrairement à ses habitudes, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, était présent. À travers un téléphone tenu à bout de bras par un des organisateurs du Festival, le metteur en scène commence à s’exprimer avec une voix chevrotante. “On dirait un bruit de mitrailleuse”, commente Godard en faisant allusion aux crépitements des appareils photos qui immortalisent la scène. Le cinéaste a conservé son sens de l’humour et son ton sarcastique.
Affichant ses habituelles lunettes et arborant un cigare aux lèvres, Godard apparaît de bonne composition et souriant. Durant quarante-cinq minutes, des journalistes de la presse internationale t se succèdent de manière disciplinée devant le téléphone pour poser leur question à l’un des chefs de file de la Nouvelle Vague : l’émotion est grande.
Cette situation cocasse et insolite donne une image émouvante du cinéaste qui dévoile par ce truchement technologique une facette inédite sa personnalité :
“Un film est fait pour montrer ce qui se fait, et c’est le cas de la plupart des films qui sont à Cannes cette année et comme les années précédentes… Mais très peu de films sont faits pour montrer ce qui ne se fait pas. J’espère que le mien aidera un peu à montrer ou à penser à ce qui ne se fait pas.”
Godard a accepté de se pencher sur les événements de Mai 68, avec une nostalgie tangible. Godard répond avec sa verve emplie d’humour, directe et parfois acerbe, avec quelque spores bien servies et un brin ironiques : « Pour le montage du Livre d’image, j’ai vu en quatre ans plus de films que Thierry Frémaux en a vus pour établir sa sélection ».
Que l’on ne s’y trompe pas : le film de Godard comporte une multitude d’images, de nombreux extraits, si nombreux que l’on peine à tous les reconnaître … Une leçon d’humilité devant le maître qui nous contraint à s’incliner devant l’étendue de son savoir du septième art et à nous oblige à mesurer notre inculture. Avis aux amateurs : un livre est proposé pour accompagner la sortie du film, permettant d’identifier les extraits et d’en saisir la signification.
Les extraits s’enchaînent, avec fluidité, et au fil des réflexions que le cinéaste égraine, captive de plus en plus. On aurait souhaité pouvoir faire des arrêts pour s’imprégner de ces extraits et d’en mesurer toute la valeur de la réflexion godardienne. Un film à voir et revoir sans modération !
Le seul moment qu laisse quelque peu à désirer est le dernier chapitre sur le Moyen-Orient qui distille des idées connues depuis les années septante sur la méconnaissance de cette région du monde. Mais on ne peut que pardonner au maître qui a annoncé, en fin de conférence via FaceTime, qu’il va continuer à faire des longs-métrages.
Le talent est inépuisable !
Firouz E. Pillet, Cannes
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