Cannes 2022 : Les Cinq Diables, de Léa Mysius, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, suit la relation d’une mère avec sa petite fille aux pouvoirs surnaturels
Vicky (Sally Dramé), petite fille métisse à la crinière rebelle, étrange et solitaire, a un don : elle peut sentir et reproduire toutes les odeurs de son choix qu’elle collectionne dans des bocaux étiquetés avec soin. Elle a extrait, en secret, l’odeur de sa mère, Joanne (Adèle Exarchopoulos)a, à qui elle voue un amour fou et exclusif, presque maladif. Un jour Julia (Swala Emati), la sœur de son père Jimmy (Moustapha Mbengue), fait irruption dans leur vie. Vicky se lance dans l’élaboration de son odeur mais a elle déjà décelé que la sœur de son père, cette tante qu’elle ne connaît pas, et que son père n’a pas vue depuis dix ans, est alcoolique : elle boit abonnement du whisky. Elle découvre peu à peu que cette tante a des visions et a été soignée. Vicky est alors transportée dans des souvenirs obscurs et magiques où elle découvrira les secrets de son village, de sa famille et de sa propre existence.
Vicky, du haut de ses huit ans, fait preuve d’une immense maturité mais est différente des autres enfants … Trop différente et suscite leur acharnement, se faisant violenter et passer à tabac dans le préau de l’école du petit village de montagne où la famille vit. Mais sa mère ne soupçonne pas le harcèlement scolaire dont est victime sa fille. Vicky a pourtant de quoi se défendre, cultivant des pouvoirs magiques qui lui permettent de surmonter les épreuves et la méchanceté des autres.
Si jeune, Vicky est propulsé dans l’impitoyable univers des adultes en découvrant le passé de sa mère, Joanne, ex-Miss, qui vivote dans une petite ville de montagne auprès de son mari sénégalais qui passe plus de temps auprès de ses collègues de la caserne de pompiers qu’auprès d’elle. D’ailleurs, il n’y a plus de désir au sein de ce couple que le père de Joanne, Jean-Yves (Patrick Bouchitey), tente de sauver.
Dans la mentalité étriquée du village, les rumeurs et les jugements hâtifs et venimeux des voisins vont bon train, rejetant impitoyablement la différence. Dans sa jeunesse, Joanne a été liée à un drame qui a traumatisé les lieux, un incendie qui ouvre le film. Joanne a ensuite épousé un homme de couleur, un choix qui passe mal au sein de la communauté villageoise. Alors, le jour où la sœur cadette de Jimmy, Julia débarque chez eux, le village se repait de son passé lié à des troubles psychiatriques – du moins, catalogués comme tels – et à son penchant prononcé pour l’alcool fort qu’elle consomme au bar PMU du coin.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire jaser les villageois et entretenir la suspicion et la haine. Les montagnes environnantes et l’inquiétante nature autour d’un grand lac ne feront qu’accentuer l’atmosphère anxiogène que la cinéaste élabore progressivement au fil du récit.
Léa Mysius développe ses intentions au sujet de son film :
« J’ai imaginé l’histoire de cette petite fille étrange et solitaire comme une fresque intimiste contenant quelques éléments du film fantastique et j’ai élaboré une réalité alternative visant à déconstruire nos croyances et permettre de redécouvrir la dimension enchanteresse du monde. En suivant les interrogations existentielles de Vicky, qui se demande comment elle est venue au monde, si sa maman l’aimait avant sa naissance et comment elle est devenue qui elle est, je fais le choix du prisme fantastique qui est un moyen et non une fin pour moi. »
Malheureusement, malgré une solide mise en scène, en particulier dans les vues panoramiques spectaculaires des flancs de montagnes et du lac, Léa Mysius semble ne plus complètement maîtriser un sujet qui semblait prometteur sur le papier, se laissant emporter dans les circonvolutions fantastiques et psychanalytiques liés à la sorcellerie. Pour amplifier la dimension magique de son histoire Léa Mysius privilégie une bande-son, composée par Florencia Di Concilio, qui joue un rôle prépondérant dès les premières séquences, explorant les dimensions plus souterraines, plus étranges, avec des tonalités chamaniques, primitives, brutes, archaïques qui font écho de manière viscérale à l’invisible qu’on tait par peur ou par méconnaissance.
Firouz E. Pillet,Cannes
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