Cannes 2023 : Bonnard Pierre et Marthe, de Martin Provost, présenté à Cannes Première, retrouve les portraits d’artistes dans lesquels il excelle en proposant à Cannes un biopic romantique sur la vie de couple des deux artistes français
Après la comédie La Bonne épouse (2020), Martin Provost revient donc aux portraits artistes, un genre où il se montre toujours très inspiré et très à l’aise : il nous avait donné envie d’en savoir plus sur deux figures artistiques féminines, la peintre Séraphine de Senlis dans Séraphine (2008) et l’écrivaine Violette Leduc dans Violette (2013). Pierre Bonnard ne serait pas le peintre que tout le monde connaît sans l’énigmatique Marthe qui occupe à elle seule presque un tiers de son œuvre …
Le film retrace sur cinq décennies la vie et l’œuvre du peintre français Pierre Bonnard (1867-1947) de son épouse Martha de Méligny (1869-1942), née Maria Boursin avant de devenir Marthe Bonnard (1869-1942), et également devenue artiste après sa rencontre avec Pierre. Celui que son pays natal surnommait « le peintre du bonheur » a fait le portrait de son épouse, une aristocrate autoproclamée, dans plus d’un tiers de ses tableaux. Considéré comme l’un des plus grands peintres français du XXème siècle, Pierre Bonnard s’inscrit dans le mouvement nabi avec un style décoratif influencé par le japonisme puis apporte sa touche en se consacrant à l’impressionnisme. Solitaire et très électif dans ses amitiés, il côtoie Edouard Vuillard, Félix Vallotton, Claude Monnet (interprété ici par André Marcon) et Henri Matisse. L’art de Pierre Bonnard a comme source inépuisable sa propre vie : les intérieurs qu’il habite, les bords de la Seine, puis plus tard le paysage de la Côte d’Azur, et le nu, dont sa femme Marthe est le modèle immuable. Pierre Bonnard utilisait des couleurs vives et représentait des scènes de la vie quotidienne, ce qu’a magnifiquement représenté Martin Provost qui a su judicieusement filmer les paysages tels des tableaux impressionnistes qui séduisent le regard.
Le cinéaste a fidèlement retranscris sur grand écran la personnalité de Pierre Bonnard qui, bien que fou amoureux de Marthe, l’a constamment trompée mais est toujours revenu vers elle jusqu’à ce qu’il l’épouse. Martin Provost nous présente la rencontre des deux tourtereaux et sa caméra met en valeur la beauté sculpturale de la comédienne qui est rayonnante au début de sa relation avec Pierre Bonnard, espiègle et charmante, maîtrisant la gouaille de la titi parisienne. Martin Provost restitue avec exactitude une époque où les artistes s’inspiraient des objets inanimés de leur quotidien mais aussi de la nature et de l’essence féminine. Autre réalité de l’époque que Claude Monnet glisse à l’oreille de Marthe, en pleine dépression : « Pierre vous aime, il a la chance de vous avoir et il reviendra toujours vers vous ». Mais au fur et à mesure que les infidélités de Pierre sautent à la figure de Marthe, Cécile de France parvient à donner toute la palette d’émotions – révolte, colère, chagrin, tristesse – alors que Marthe sombre dans la folie.
Progressivement, l’héroïne s’assombrit tandis que les années avec Pierre finissent par l’user; Cécile de France est tout simplement sublime et magistrale. Face à elle, Vincent Macaigne incarne cet artiste talentueux mais amoureux maladroit, voire malhabile et au caractère doucement misogyne, un trait de caractère des hommes de l’époque.
Bien que Misia soit un personnage secondaire du récit de Martin Provost, son parcours semble étroitement lié à celui de Pierre et donc celui de Marthe. La jeune femme se donne à la peinture par amour, mais se découvre un talent à peindre ou à travailler au fusain des toiles, révélé par une rupture passagère avec Pierre parti vivre à Rome avec Renée Monchaty (Stacy Martin), une étudiante. Ces toiles susciteront l’admiration de Pierre et amèneront Marthe à les exposer à Paris. La passion initiale de Pierre et Marthe laisse progressivement la place aux reproches et à la jalousie, attisée maladroitement par Misia (Anouk Grinberg, délicieusement grandiose, une pianiste de renom qui cumule les maris comme les amants. Misia, ancienne muse du peintre, est toujours très présente dans la vie de Pierre, trop présente au goût de Marthe.
Lors de la séance dans la Salle Debussy, le public, venu en nombre malgré l’heure tardive de la séance qui accusait cinquante minutes de retard, a pu apprendre que l’unique musée au monde dédié à l’œuvre de Pierre Bonnard, figure marquante de l’art des XIXème et XXème siècles très inspiré par la lumière du Midi et ses paysages, se trouve au cœur de la ville du Cannet, qui l’inspira. La conservatrice du Musée Pierre Bonnard, Véronique Serrano, était présente lors de cette projection. Le Cannet se trouve à une vingtaine de minutes de la Croisette, avis aux amateurs !
Firouz E. Pillet, Cannes
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