Cannes 2023 : May December, de Todd Haynes, présenté en compétition, entraîne le public dans un drame introspectif délicieusement ensorcelant
Pour préparer son nouveau rôle, une célèbre actrice, Elizabeth Berry (Natalie Portman), vient rencontrer celle (Julianne Moore) qu’elle va incarner à l’écran, Gracie Atherton, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays deux décennies plus tôt alors que la trentenaire entretenait une relation avec Joe (Charles Melton), de vingt-trois ans son cadet.
Vingt ans après leur célèbre mariage, largement couvert par les tabloïds, le couple cède donc à la pression lorsque cette actrice hollywoodienne très en vogue les rencontre pour faire des recherches en vue d’un film sur leur passé, lui dévoilant toutes les facettes de leur vie de couple, de leur vie de famille et de leur intimité jusqu’à des gestes a priori anodins tel que le maquillage de Madame.
Souvenez-vous ! En 2015, Rooney Cara, actrice de Carol, de Todd Haynes, aux côtés de Cate Blanchett, était repartie de Cannes avec un prix d’interprétation féminine. Pour May December, Todd Haynes réunit à nouveau un tandem d’actrices charismatiques pour se donner la réplique dans ce drame introspectif romantique sur le passé sulfureux d’un couple célèbre.
Le sujet semblait périlleux et il fallait élaborer un scénario à la fois très étudié et suffisamment troublant pour que le public se laisse entraîner dans les méandres d’une historie au jeu de miroirs. Sous l’impulsion du scénario de Samy Burch, Todd Haynes questionne les choix de deux femmes à deux époques de leurs vies. Un retour vers le passé est douloureux pour une ancienne idole sexagénaire qui veut tourner la page et qui semble avoir quelques crises de larme pour des motifs sans importance. Face à une quête de vérité sincère et dangereuse menée par une star hollywoodienne à l’apogée de sa carrière, ces échanges a priori bon enfant ne peuvent que déclencher des tensions et raviver des souvenirs enfouis, voire occultés. Entre les deux, pour compléter ce tandem féminin, le personnage masculin de Joe tisse subtilement des liens entre les actrices et les époques, des liens qui ne feront que se renforcer mais pas forcément comme on l’attend.
Avec May December, Todd haynes se plaît à développer un jeu stylistique qui joue sur les ambiguïtés, induisant sournoisement en erreur le public, entraînant ses comédiens principaux dans un labyrinthe aux miroirs dignes des fêtes foraines. Todd Haynes s’amuse à brouiller les pistes pour donner du fil à retordre à ses spectateurs. Explorant les questions de la moralité et de l’éthique de manière captivante et fascinante, il illustre parfaitement ici le proverbe : « Les apparences sont trompeuses. »
May December semble une satire de la vie bourgeoise mais au fil du récit, le propos du film va plus loin et permet, grâce au jeun de miroir entre les deux femmes et au mimétisme d’Elizabeth, à Gracie de révéler progressivement une personnalité qui se dévoile délicatement de l’intérieur de sa carapace, brillamment incarnée par Julianne Moore. Mais Natalie Portman n’est pas en reste et la séduction qui émane de ces deux femmes ne peuvent que faire mouche auprès du public. D’ailleurs, Natalie Portman met magnifiquement en valeur ses talents d’actrice lorsqu’elle livre un monologue qui lui permet de copier la voix sensuelle de Gracie et suscite une véritable émotion à sa performance simplement en regardant directement dans un miroir.
Alfred Hitchcock parlait du pouvoir de jouer du public comme d’un piano en appuyant sur chaque touche pour obtenir une réponse émotionnelle spécifique. Dans May December, Todd Haynes fait vibrer chaque corde de chaque membre du public telles les cordes d’une harpe pour déclencher une avalanche d’émotions et de sentiments.
Certains critiques disent qu’il ne s’agit pas du meilleur Todd Haynes mais les festivaliers ont été fascinés par le symbolisme ciselé et l’atmosphère déroutante qui règne dans May December.
Firouz E. Pillet, Cannes
j:mag Tous droits réservés