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Cannes 2023 – Semaine de la Critique : Stranger, un court métrage hybride qui marie cinéma et musique pour une fable romantique

Présenté en Première mondiale à la Séance Spéciale Courts métrages de la Semaine de la Critique, Stranger est tout d’abord un ouvrage collectif qui s’est réalisé par agrégation d’envies et idées artistiques, de rencontres et de moyens de production. Le résultat est un objet cinématographique hybride qui plonge les spectateurices dans une atmosphère post-confinement, empli d’une énergie vitale à réanimer dans une période où les connexions avec les autres, mais surtout avec soi-même, semblent difficiles à renouer.

— Jehnny Beth et Agathe Rousselle – Stranger
Image courtoisie Semaine de la Critique Cannes

A (Agathe Rousselle, révélée dans Titane de Julia Ducourneau, Palme d’or 2021) est déconnectée de sa vie, cela fait 548 jours qu’elle ne ressent plus rien, que cela soit émotionnellement ou physiquement. Elle est coupée de ses sensations de douleurs ou de bien-être. Elle en est consciente, elle les recherche dans les haut-parleurs qui vibrent des basses de la musique ou dans le stéthoscope qu’elle appose pour essayer d’entendre des battements de vie. En vain ; elle erre dans un entre-deux. Un soir, elle rencontre dans un ascenseur J (Jehnny Beth) qui va tenter de réanimer son cœur et la ramener du côté de la vie.

À l’initiative de Stranger, Jehnny Beth qui travaillait sur un album avec Johnny Hostile et Malvina Meinier. À l’occasion d’auditions pour des rôles au cinéma, elle rencontre Agathe Rousselle, l’envie d’en faire un film lui vient. Elle demande à Agathe Rousselle d’écrire avec elle et la romancière Alexandra Dezzi le scénario.

« On s’est d’abord intéressées au sujet du double, puis l’histoire s’est nouée autour de la symbolique du battement du cœur et son lien avec la musique. »

La réussite du film tient en cette faculté de ne pas mettre le cinéma au service de la musique et vice-versa. C’est ici qu’intervient Iris Chassaigne à qui l’on propose de co-réaliser le film. Elle y met beaucoup d’effets cinématographiques, un cinéma apprêté, ce qui n’est pas une critique quand l’éloignement au naturalisme est assumé comme ici de belle manière. La caméra est tout autant un personnage que la musique, avec ses perspectives qui coupent les espaces, ses prises de vue en plongée, et surtout une magnifique scène de cinéma qui de prime abord se présente comme très académique, un champ-contrechamp, qui s’élude visuellement et narrativement par un mouvement d’acte de montage très réussi où l’artifice est évident mais parfaitement raccord : les deux protagonistes face à face se retrouvent côte-à-côte. Quand la technique fait symbiose avec le récit, elle apporte une touche d’émotion inattendue, mêlant les sensations que l’on ressent pour une histoire à celles que l’on éprouve en regardant du beau cinéma.
Une présence aussi affirmée de la caméra peut la rendre très directive, ce qui est le cas ici, laissant peu de place au libre arbitre du regard. Ce parti pris peut être lourd sur un film de deux heures, sur un court métrage, où, s’il est bien fait, chaque minute est optimisée pour n’en faire ni trop ni pas assez, il est légitime. Arnaud Alberola qui la tient a un excellent sens du cadre et maîtrise la mise en évidence des détails.

Jehnny Beth et Iris Chassaigne posent une atmosphère traversée par des courants contradictoires où l’inquiétude anesthésiante entre en collision avec la pulsion vitale, où la violence le dispute à la tendresse, où la vacuité du bruit du monde cherche à se remplir de battements de cœur et de rencontre des âmes. Elles représentent les états intérieurs de manière multiple, les effets sonores, l’alternance de saturation désaturation chromatique, les espaces en effets miroir qui accompagnent le récit musical et dialogué.

Malgré le côté dual qui traverse tout le film et lui procure ce petit aspect schématique et œuvre à message (toujours dans cette volonté assumée d’être cinéma, le 4e mur est brisé par le regard caméra de A), il émane de Stranger un côté mystérieux qui suit les variations d’intensité des pulsations de la vie. Cela donne envie de poursuivre le voyage avec l’album éponyme (2023) qui accompagne le film.

De Jehnny Beth et Iris Chassaigne; avec Jehnny Beth, Agathe Rousselle, Finnegan Oldfield, Rubens Huleux; France ; 2023 ; 18 minutes.

Malik Berkati

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