Cannes 2025 – Habitués de La Croisette, trois cinéastes sont de retour au Festival de Cannes en compétition officielle : Mario Martone et les frères Dardenne
Après avoir concouru en 1995 avec L’amore molesto (L’amour meurtri) et en 2022 avec Nostalgia, le cinéaste napolitain est en lice avec Fuori, un film biographique sur l’actrice et écrivaine italienne Goliarda Sapienza alors que le duo de cinéastes belges revient à un cinéma du Réel proche de leurs débuts avec Jeunes mères.
Image courtoisie Festival de Cannes
Seul film italien en compétition à Cannes, Fuori s’inspire du livre de Goliarda Sapienza, L’università di Rebibbia (1983), qui raconte son séjour en prison et la sororité qui découle de ces années.
Sur un scénario que Mario Martone a co-écrit avec sa femme, Ippolita Di Majo, le scénario reste fidèle à l’œuvre de l’écrivaine et la trame du livre devient celle du film, plongeant le public dans la Rome des années 80. Goliarda Sapienza travaille depuis dix ans sur ce qui sera son chef-d’œuvre, L’arte della gioia (L’Art de la joie, 1994). Mais son manuscrit est rejeté par toutes les maisons d’édition. Désespérée et désargentée, l’actrice devenue écrivaine commet un vol qui lui coûte sa réputation et sa position sociale. Incarcérée dans la plus grande prison pour femmes d’Italie, elle va y rencontrer voleuses, junkies, prostituées mais aussi des anarchistes et opposantes politiques. Après sa libération, l’amitié entre elle et les autres détenues perdure, ce qui suscite l’incompréhension dans les milieux intellectuels qu’elle fréquente. Cependant, libre et libérée, elle continue à rencontrer ces femmes dans une sororité stimulante et développe avec l’une d’entre elle une relation qui lui redonnera le désir de vivre et d’écrire.
Après avoir réalisé pour la télévision la série L’arte della gioia (L’Art de la joie, 2025), basé sur le chef-d’œuvre éponyme de l’écrivaine, Valeria Golino l’interprète, complétant ainsi l’hommage à l’un·e des auteur·es les plus important·es et les plus oublié··s du siècle dernier.
Si Mario Martone ne nous avait pas pleinement convaincus avec Nostalgia, il signe avec Fuori un film savamment construit et brillamment interprété par Valeria Golino qui est de tous les plans, un film essentiellement sur l’éblouissement, la fascination irrésistible que Goliarda éprouve auprès de ses nouvelles amies détenues, Roberta et Barbara (Matilda De Angelis et Elodie, toutes deux talentueuses et convaincantes). Le film développe l’intensité d’une sororité salvatrice, mais aussi la découverte d’une autre communauté, celle de la prison, plus accueillante et moins critique que l’intelligentsia romaine à laquelle Goliarda Sapienza est habituée, soulignant comment l’écrivaine d’une cinquantaine d’années préférait la compagnie de jeunes ex-détenues aux salons de la haute bourgeoisie d’où elle se sentait, et était en fait, jugée et rejetée.
L’actrice et écrivaine italienne a eu une vie rocambolesque, aux multiples facettes et aux multiples chapitres, mais Martone choisit de mettre essentiellement en scène le tristement célèbre vol de bijoux pour lequel Sapienza a fini en prison, et choisit de tourner les scènes de détention derrière les barreaux de la prison de Rebibbia parmi de véritables anciennes détenues, d’où une constante impression de véracité et d’authenticité. Parmi elles se distingue la toxicomane et rebelle Roberta, une militante politique accusée de participer à un gang armé, un personnage vraiment crucial du film qui, avec son exubérance amicale – et grâce au talent de Matilda De Angelis – finira par voler la scène à tout le monde et émerger, volant aussi quelque peu la vedette à Golino, comme si elle était la véritable protagoniste du film, surtout dans le puissant rebondissement final.
Valeria Golino est resplendissante, lumineuse, avec quelques touches de mélancolie et de vulnérabilité mais l’actrice, qui ne craint de se mettre à nu au sen propre et figuré, est toujours sublimée par la caméra de Martone et portée par la musique de Valerio Vigliar.
Le film de Martone a enthousiasmé la critique internationale et le public mais certain·es journalistes italien·nes présent·es à Cannes ont souligné que Martone avait mis l’accent sur la période carcérale et post-carcérale de Goliarda Sapienza, laissant de côté l’impétuosité et la rébellion d’une intellectuelle non-conformiste et antifasciste, une voix hors du commun qui n’a jamais eu peur de dire ce qu’elle pensait. Comme on peut le voir clairement dans le générique de fin, où le véritable et indomptable Goliarda prend la parole. Guère reconnue à son époque, elle est désormais saluée par les critiques comme par le public. Sa valeur est enfin reconnue, soulignée par cette vague de fascination et de respect qui règne à son égard depuis quelques années en Italie. Golino elle-même est la pierre angulaire de cette redécouverte de Goliarda Sapienza, qu’elle a rencontrée enfant, sans bien comprendre, à l’époque, l’importance de son travail. Depuis, elle la fait avec brio revivre devant et derrière la caméra.
© Christine Plenus
Grands habitués de La Croisette, les frères Dardenne concourent avec leur dixième long métrage, Jeunes mères.
Le duo de cinéastes belges nous invite à suivre cinq très jeunes femmes accueillies dans une maison maternelle liégeoise pour les aider dans leur vie de jeunes mères. C’est justement à la suite de ce séjour dans la maison maternelle que Jean-Pierre et Luc Dardenne ont souhaité faire un film non plus avec un personnage principal, mais avec quatre personnages principaux et un cinquième dont l’histoire est plus brève. Le film choral n’est pas dans les habitudes des Dardenne et, sur cet aspect, ils réussissent leur baptême. Évitant de construire des histoires individuelles, le tandem de réalisateurs opte pour suivre la seule optique d’une histoire globale, celle d’une maison maternelle et de ses pensionnaires. Pendant une heure quarante-cinq, leur caméra nous entraîne auprès de ces cinq adolescentes qui ont l’espoir de parvenir à une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur enfant.
Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma sont hébergées dans une maison maternelle qui les aide dans leur vie de jeune mère. Ces cinq adolescentes ont toute une histoire bien personnelle, un parcours et un milieu social spécifiques et même si la maison maternelle est leur dénominateur commun: les Dardenne ont construit chaque récit en fonction de chaque jeune mère et de son enfant. Sans intrusion ni voyeurisme, et avec un constant respect, les cinéastes belges essaient d’être au plus près de chacune, suivant la nécessité interne de chaque trajectoire.
Si Jeunes mères émeut par ces histoires faites de situations sociales et affectives très différentes, c’est la communion de destins et l’union qui ressortent dans cette observation de la maternité précoce. Une maternité assumée, rejetée, subie ou acceptée. Selon la jeune fille et son histoire, force est de constater que les failles familiales et les carences affectives se répètent de génération en génération, amenant le public à réfléchir à l’avenir de l’enfant.
Le film met aussi en lumière la solitude, les angoisses et les espoirs de ces adolescentes qui doivent construire une nouvelle identité induite par leur condition de mère, le plus souvent célibataire, une identité en rupture avec leur âge et les préoccupations de leurs congénères.
Firouz E. Pillet, Cannes
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