Cannes 2025 : présenté dans La Semaine de la Critique, Des preuves d’amour, d’Alice Douard, sonde avec délicatesse les modalités contemporaines des maternités
L’actrice suisse Ella Rumpf, révélation féminine dans Le Théorème de Marguerite (2023) qui lui avait valu un César, joue un rôle principal dans Des preuves d’amour.
Céline (Ella Rumpf) attend l’arrivée de son premier enfant. Mais elle n’est pas enceinte. Dans trois mois, c’est Nadia (Monia Chokri), sa femme, qui donnera naissance à leur fille. Sous le regard de ses amis, de sa mère et aux yeux de la loi, elle cherche sa place et sa légitimité.
Image courtoisie Semaine de la Critique
Alice Douard élabore avec subtilité et finesse une fresque d’un couple attendant leur premier enfant, entre joies, doutes et angoisses, projections et supputations, conseils plus ou moins avisés, et souvent maladroits, des ami.es qui sont passé.es par cette situation.
La cinéaste aborde la multitude de questions qu’affronte ce couple de femmes trentenaires, des questions qui ne seraient même pas envisagées au sein d’un couple hétérosexuel comme le choix de la mère porteuse dans une famille homoparentale qui n’apparaît pas toujours évident. Ici, c’est Nadia qui porte l’enfant du couple qui s’est rendu au Danemark pour choisir le sperme du donneur. À travers les questions de leur entourage, on cerne que les deux femmes doivent souvent se justifier malgré une apparente bienveillance des proches. Comment ont-elles pris cette grande décision de savoir qui porterait leur enfant ? Que faire si les deux femmes ont envie d’être enceinte ? D’ailleurs, Céline n’a de cesse de répéter à qui veut l’entendre qu’elle portera leur second enfant. Tout au long Des preuves d’amour, on suit son cheminement, sa manière d’appréhender son rôle de mère lorsque qu’elle n’a pas de nausées, que ce n’est pas son ventre qui s’arrondit, que ce n’est pas son corps qui se transforme.
La sœur de Céline lui balance violemment que sa grossesse a été facile alors qu’elle doit ingurgiter des hormones, avoir des rapports à heure fixe depuis deux ans et qu’elle ne parvient toujours pas à tomber enceinte. C’est avec justesse que la cinéaste souligne qu’une situation de maternité qui semble facile, vue de l’extérieur, présente ses embûches et ses obstacles à surmonter. Céline lui rappelle qu’elles ont dû partir à l’étranger, choisir un donneur, se marier mais que sa compagne doit d’abord inscrire leur enfant à la mairie en tant que mère célibataire, accompagnée par Céline, sa femme, pour qu’elle figure comme personne présente civilement avant de pouvoir ensuite adopter leur fille.
Pour légitimer l’adoption de l’enfant, le jeune couple doit procurer des lettres de témoignage des proches, des preuves d’amour, à commencer par la famille. Les témoignages sont nominatifs.
Dans un scénario rondement élaboré, Alice Douard rappelle La Loi Taubira qui a permis le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, mais pas la PMA, ce que la plupart des amis et des proches du couple ignorent. Et sans doute le public aussi !
La réalisatrice est parvenue à élaborer une galerie de portraits exhaustifs et truculents de la société et des réactions possibles de l’entourage. Il y a Nour, le mari de la meilleure amie du couple, qui s’étonne de ne pas avoir été sollicité comme donneur de sperme vu qu’il se trouve beau tandis que sa femme décrit, dans le menu, comment son vagin a été « explosé par les outils de jardinage » entre forceps et épisiotomie. Une description apocalyptique, de quoi mettre en confiance la future parturiente !
Et quand il est question d’enfantement, de maternité et de transmission, il ne faut pas oublier sa propre mère ! Ici, la mère de Céline est une mère pianiste de renom (Noémie Lvovsky), fantasque, imprévisible mais guère maternelle, qui vit à Prague, vient parfois donner des récitals en France, laissant son mari et sa dernière fille âgée de sept ans à Munich. Cette mère artiste semble être au comble de la joie à l’annonce que sa fille aînée va être mère et s’exclame : « Aucune valse de Chopin ne se danse, il ne les a pas écrites pour cela, ce sont ses carnets intimes. On y entend comme une promesse d’avenir mais c’est toujours triste.»
Puis, face à la grossesse par procuration de sa fille, elle confesse, en aparté, en laissant courir ses doigts agiles sur les touches et en récitant cette lettre qu’elle destine au dossier d’adoption du couple : « J’ai toujours aimé ma fille plus que tout. J’ai même imaginé que si elle m’appelait au secours dans un incendie, je me jetterais dans les flammes pour la sauver. Ce fantasme, j’ai même souhaité qu’il soit réel. Ainsi, Céline aurait perçu ce lien, celui-même que je ne sais ni dire n montrer. Être mère, c’est être présente. Céline est bien là, elle place sa famille au centre de sa joie. Je n’ai rien arrêté pour elle, je n’ai pas cherché à soigner la mélancolie profonde qui est paralysante, qui me clouait au lit après chaque concert. La joie de retrouver ma fille est bien réelle comme la solitude et la mélancolie parlantes que j’éprouve après chaque concert. Personne ne sait quel parent il sera avant d’éprouver cette fonction dans la durée.»
Alice Douard réussit à développer toutes les facettes tant émotionnelles, psychologiques que sociétales que traversent les couples lesbiens, mais montre que les avancées du côté de la prise en charge médicale sont importantes. Ainsi, on voit dans des sages-femmes très attentives, qui prennent en compte l’impact psychologique des démarches nécessaires et les épreuves émotionnelles pour la partenaire qui accompagne mais ne porte pas l’enfant, à l’instar du père, l’incluant dans les examens, dans la préparation à l’accouchement, dans le moment crucial de la naissance, dans le peau à peau avec le bébé une fois libéré de son cordon ombilical. Des moments évidents pour un père mais qui doivent encore être intégrés socialement pour la partenaire féminine afin de lui permettre d’accéder à la parentalité de manière normale, sans devoir se légitimer.
On ressort du film ému, touché, sensibilisé.
Au sein du département réalisation de la Fémis, Alice Douard réalise Extrasystole (2013), son film de fin d’études acheté par Arte et sélectionné dans de nombreux festivals. Elle réalise ensuite deux autres courts métrages, Les Filles (2015) et Plein Ouest (2019). En 2022, elle termine un nouveau court métrage, L’Attente (2022), pour lequel elle remporte le César du Meilleur Court Métrage. Elle obtient ensuite l’aide à l’écriture du CNC pour Des preuves d’amour, son premier long-métrage qui développe le sujet de L’Attente. Avec ce long métrage, la cinéaste confirme son talent. À suivre !
Firouz E. Pillet, Cannes
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