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Cannes 2025 : présenté en Compétition officielle, Dossier 137, de Dominik Moll, sonde les arcanes de la police des polices en pleine crise des Gilets Jaunes

Trois ans après La Nuit du 12, qui avait remporté six Césars, dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure adaptation et un immense succès public et avait été, malencontreusement, sélectionné dans la section non compétitive Cannes Premières, le français d’origine allemande est en lice pour la Palme d’or, offrant un rôle sur mesure à Léa Drucker qui enquête sur une possible bavure des forces d’intervention spéciales.

Partageant avec La Nuit du 12 la trame de l’enquête policière dans laquelle Dominik Moll excelle, Dossier 137 semble, en apparence, une affaire de plus pour Stéphanie (Léa Drucker), enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Divorcée, Stéphanie vit avec son fils adolescent, Victor (Solàn Machado-Graner), qui a honte d’avouer le métier de ses parents. Pour leur fils, Stéphanie croise son ex, Jérémy (Stanislas Merhar), policier aux Stup et en couple avec Chrystelle (Dorothée Martinet), une syndicaliste de la police. Alors que sévit la crise des Gilets Jaunes à travers l’Hexagone, les Français·es qui se sentent délaissé·es, voire oublié·es par l’État, se rendent à des manifestations de manière pacifique. Le contexte des manifestations des Gilets Jaunes malmène d’autant plus Stéphanie qui essuie les critiques sur son métier de la part de ses proches mais surtout de ses collègues.

— Léa Drucker – Dossier 137
© Fanny de Gouville // Modds

Nous sommes en décembre 2018 : le mouvement des Gilets Jaunes bat son plein. Une manifestation à Paris s’annonce sous des auspices joyeux et insouciants. Une séquence enregistrée sur un téléphone montre une joyeuse équipe en route pour la capitale : parti·es de Saint-Dizier, une mère de famille, Joëlle Girard, aide-soignante (Sandra Colombo), son fils Guillaume (Côme Péronnet), sa fille Sonia (Mathilde Riu) et son petit copain, Rémi Cordier (Valentin Campagne), qui deviendra, bien malgré lui, témoin. Pour l’instant, la fine équipe se filme, chantant allègrement Siffler sur la colline de Joe Dassin. L’humeur est festive et primesautière.
À Paris, les manifestant··s se retrouvent sur les Champs-Élysées chaque samedi pour défiler, inlassablement, vêtus de leur signe distinctif jaune fluo. Secouant la stabilité étatique et commençant à faire des émules dans divers pays européens, les Gilets Jaunes et leur mécontentement prennent de l’ampleur…

Mais, ce samedi de décembre, un jeune homme, blessé à la tête par un tir de LBD, gît à terre. Stéphanie est chargée de décortiquer les circonstances pour reconstituer le cours des événements, éclaircir les circonstances du drame qui a conduit le jeune homme à l’hôpital et surtout, établir une responsabilité… Mais un élément inattendu va retenir l’attention de Stéphanie, pour qui le Dossier 137 devient un cheval de bataille. Secondée par son bras droit, Benoît Guétini (Jonathan Turnbull), Stéphanie récolte les enregistrements des vidéos adjacentes au lieu où le jeune homme a été touché par balle. D’abord ceux des caméras publiques, des hôtels et puis, celui d’une femme de chambres, Alicia Mady (Guslagie Malanda), qui a assisté à toute la scène alors qu’elle nettoyait une suite.

Dominik Moll replonge le public au cœur de cette période trouble et mouvementée de manifestations qui a vu surgir les violences policières. Des forces de l’ordre qui agissaient sur ordre de l’état qui leur demandait de « défendre la partie et de faire un effort de guerre ». Si Dossier 137 est un film de fiction, il présente, par bien des aspects, une dimension de documentaire : nombreuses séquences de journaux télévisés, immersion au cœur des troupes de policiers comme de la foule des manifestant·es qui avancent pacifiquement dans les rus de la capitale, tirs de gaz lacrymogènes par les forces pour les intimider, etc.
Figeant avec authenticité ces scènes dans l’histoire des luttes et des revendications du peuple en France, Dossier 137 fait aussi songer aux émeutes de Mai 68 et au documentaire de David Dufesne, Un pays qui se tient sage (2020) qui analysait comment, alors que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales, de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus violente.

Prenant place dans ce contexte houleux, le long métrage suit, en incluant le public, cette enquête policière menée tambour battant par Stéphanie, magnifiquement interprété par Léa Drucker, enquêtrice dans la retenue mais prête à tout quand elle a face à elle une mère en souffrance pour son fils grièvement blessé, quitte à franchir les frontières de son mandat. Dans ce film choral, Dominik Moll ose se confronter à un sujet périlleux qui aurait pu mener au naufrage. Bien au contraire ! Adoptant le regard juste pour décrire les faits, évitant tout manichéisme, le réalisateur dote son scénario d’une démonstration implacable qui emporte le public.

Par le truchement des caméras de surveillance, des enregistrements et des mediums visuels contemporains, Dominik Moll fait l’autopsie d’un crime et souligne comment il arrive, parfois, que la police s’en sorte blanchie malgré des preuves accablantes. À travers des réponses incongrues des policiers inculpés qui tentent de légitimer leurs actes par de fausses excuses de légitime défense qui, apparaissant si grotesques et outrancières, ont fait rire la salle de désarroi. Le cinéaste livre avec malice les explications bancales des policiers incriminés, protégés par un système et une hiérarchie immuables. La justice est partiale et l’omerta est de mise pour certaines professions.

CQFD par Dominik Moll !

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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