Clap de fin pour le 25è festival du film est-européen de Cottbus – Grand prix pour Zvizdan (Soleil de Plomb)
Il y a 26 ans, le Mur de Berlin tombait. Une année après naissait un petit festival dans une ville du Brandebourg, capitale de la minorité Sorabe – Cottbus, qui avait pour ambition de mettre en lumière les films provenant de la partie orientale du continent européen.
Petit festival est devenu grand!
Les premières éditions fleuraient bon la jeunesse passionnée, l’enthousiasme du bénévolat, l’avidité à s’ouvrir à l’ouest de l’Allemagne et d’être une petite fenêtre sur l’univers culturel et sociétal d’une Europe de l’est méconnue, stéréotypée et faisant encore peur.
25 ans plus tard, le festival est devenu une date importante dans le calendrier des festivals européens, il s’est professionnalisé à mesure qu’il grandissait et sa programmation s’est élargie avec une section compétition et des sections thématiques. Et c’est peu de dire que cette dernière édition était de haute volée. Les réalisatrices et réalisateurs sélectionnés reflètent dans leurs films les situations géo-politiques et sociétales de la région en se référant au passé, s’adossant au présent ou anticipant l’avenir. Évidemment, vu sous cet angle, le raccourci serait de penser que ces films sont sombres et ennuyeux étant donné l’équilibre fragile dans lequel se trouve cette région. C’est sans compter sur la créativité de ces cinéastes qui maîtrisent à merveille le cinéma de genre, à l’humour – souvent délicieusement noir – avec lequel ils documentent les sociétés dans lesquels ils vivent, à leur inventivité technique et narrative, ou à leur capacité d’offrir un regard et/ou une proposition personnels aux sujets abordés. Il est extrêmement dommage que ces cinémas (nous préférons parler des cinémas de l’Europe de l’est plutôt que du cinéma de l’Europe de l’est, un film kirghize ne répondant pas aux mêmes traits caractéristiques qu’un film roumain par exemple) ne soient pas plus largement diffusés dans les salles de cinéma ouest-européennes et restent pour la plupart d’entre eux cantonnés à des apparitions dans les festivals.
Film primé: sans surprise mais mérité
Dans la section compétition, 12 films concourraient pour la sculpture de verre “Lubina” (en sorabe: L’Enchanteresse). Sans surprise, c’est le film croate qui a écumé de nombreux festival, dont celui de Cannes où il a reçut le prix du jury dans la section Un certain regard et qui représente la Croatie pour l’Oscar 2016 du film en langue étrangère, qui a remporté la Lubina de la compétition officielle: The High Sun (Soleil de plomb). Le film a également reçu le prix FIPRESCI (Fédération internationale de la presse cinématographique) et l’actrice principale du film, Tihana Lazovic, le prix de la meilleure actrice.
Soleil de plomb c’est un Roméo et Juliette des Balkans déchirés par une guerre qui ne se termine pas avec le cessez-le-feu. Deux décennies (1991-2001-2011), trois histoires (jouées par les mêmes acteurs) où l’amour se déchire sur le fil coupant des forces irrésistibles de la haine. Les ravages de cette guerre inter-ethnique modèlent l’espace de ce magnifique paysage tout comme ils continuent à empoisonner les cœurs et les âmes de ces protagonistes qui, un jour, vivaient ensemble. Ceci est très bien rendu par le parti pris narratif du réalisateur Dalibor Matanic et ces trois histoires différentes illustrant les prémisses de la guerre, l’après-guerre et la période contemporaine dans un même lieu, entre deux villages, l’un croate et l’autre serbe: les époques sont différentes, les personnages sont différents, les mêmes lieux sont dénaturés par la guerre et pourtant, à travers les mêmes acteurs qui interprètent chaque histoire, un sentiment organique se dégage des images nous laissant encore plus perplexe sur cet aberration visiblement consubstantielle à l’espèce être humain – cette frénésie à vouloir s’entretuer. La force de cette œuvre est de faire jouer, travailler la mémoire historique sur les tragédies personnelles. Soleil de plomb nous dit, de manière à la fois crépusculaire dans ses chutes et solaire dans ses recommencements, essentiellement une chose: l’Histoire et les histoires se répètent mais quel que soit le côté où l’on se trouve, nous ne formons au fond qu’un avec cette humanité.
Zvizdan (Soleil de plomb/ The High Sun); de Dalibor Matanic; avec Tihana Lazovic, Goran Markovic, Nives Ivankovic, Dado Cosic, Stipe Radoja; Croatie,Serbie,Slovénie; 2015; 123 minutes.
http://filmfestivalcottbus.de
La liste des prix remis.
Malik Berkati, Cottbus
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