Conclave d’Edward Berger : quand le sacré rencontre le thriller politique au cœur du Vatican
L’univers clos du Vatican exerce une fascination autant dans le domaine (télé)visuel que dans celui de la littérature. Derrière ses lourdes portes, protégées par la Garde suisse, s’anime un monde feutré mais puissant, à la fois idéologique, politique et économique, qui se prête idéalement à l’élaboration d’intrigues, de secrets et de mystères. Parmi les récentes incursions cinématographiques dans cet univers, on peut citer Amen de Costa-Gavras (2002) et Habemus Papam de Nanni Moretti (2011). Edward Berger, lauréat de l’Oscar du meilleur film international en 2023 pour À l’Ouest, rien de nouveau, s’attelle ici à l’adaptation du roman éponyme de Robert Harris, connu pour avoir également coécrit les scénarios des films The Ghost Writer et J’accuse de Roman Polanski.
Le décès soudain du Pape place le cardinal Lawrence (incarné par Ralph Fiennes), doyen du collège des cardinaux, face à une mission d’une extrême délicatesse : superviser l’élection de son successeur. Alors que les cardinaux convergent des quatre coins du globe pour prendre part au conclave, les portes de la chapelle Sixtine se referment, marquant le début d’un jeu de pouvoir intense. Au cœur des intrigues et des conspirations, Lawrence se trouve confronté à un secret susceptible d’ébranler les fondements mêmes de sa foi. Pendant ce temps, des millions de fidèles, suspendus aux événements, guettent avec impatience la cheminée de la chapelle, espérant voir s’élever la fumée blanche annonciatrice du nouvel élu.
Si les prémices de Conclave évoquent celles de Habemus Papam, avec la mort du souverain pontife et les doutes qui tourmentent le cardinal Lawrence — à l’image du cardinal Melville (Michel Piccoli), qui ne se sentait pas capable de devenir Pape —, la comparaison s’arrête là. En crise de foi, Lawrence peine même à assumer son rôle d’organisateur et de superviseur de l’élection. Edward Berger s’écarte de la tonalité essentiellement mélancolique et satirique de Nanni Moretti pour plonger dans un thriller politique. Une brochette de cardinaux intrigants y déploie des rapports de force rappelant les luttes de pouvoir caractéristiques de nos sphères politiques contemporaines.
Si le déroulé de l’histoire et la mise en scène restent fidèles aux codes classiques du genre, le retournement de situation, pressenti tout au long du film, s’avère bien plus spectaculaire qu’attendu. Une fois enfermés et coupés du monde extérieur, les cardinaux se révèlent sous leurs soutanes comme des êtres profondément humains, avec leurs faiblesses, mesquineries — parfois de véritables pipelettes —, ambitions, doutes, jeux de pouvoir et idéologies.
Ces dernières couvrent un large spectre, allant de l’affairisme, incarné par le cardinal Tremblay (John Lithgow), au progressisme du cardinal secrétaire d’État Bellini (Stanley Tucci), en passant par le traditionalisme du cardinal Aydemir (Lucien Msamati), entouré de rumeurs, et le réactionnaire cardinal Tedezio (Sergio Castellitto), inséparable de sa vaporette. Malgré tout, certains cardinaux font preuve de doutes sincères et d’une véritable intégrité. Un élément perturbateur survient avec l’arrivée tardive d’un cardinal inconnu, le cardinal Benitez (Carlos Diehz), nommé secrètement par le défunt Pape. Après les vérifications de rigueur menées par Lawrence, ce mystérieux cardinal de Kaboul est intégré au conclave.
Dans ce monde strictement patriarcal, les sœurs gravitent en arrière-plan, silencieuses mais essentielles. Efficaces et discrètes, elles assurent le bon fonctionnement de la Casa Santa Marta, où logent et se nourrissent les membres du conclave. À leur tête, la mère supérieure Agnès, incarnée avec majesté par Isabella Rossellini, impose une présence impériale, dont le rôle, à la fois ambigu et mystérieux, s’avérera primordial.
Avec cette distribution de première classe du cinéma international, Conclave s’appuie sur un scénario redoutablement efficace signé Peter Straughan. Le sacré y rivalise avec le profane, grâce à un rythme maîtrisé et des moments de bascule habilement orchestrés, tant sur le plan émotionnel, avec le destin personnel des protagonistes, que dans l’évolution collective de l’histoire. La reconstitution de la chapelle Sixtine dans les studios de Cinecittà permet des mouvements de caméra fluides et amples. Stéphane Fontaine, directeur de la photographie, compose chaque scène avec un jeu subtil d’ombres, de lumières, de perspectives et d’effets miroirs inspirés des représentations picturales. Cette approche visuelle accentue le caractère oppressant, la semi-paranoïa et la tension latente qui imprègnent le récit.
Conclave est un film de divertissement jubilatoire, idéal pour une séance de cinéma en cette fin d’année.
D’Edward Berger ; avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Lucian Msamati, Jacek Koman, Bruno Novelli, Thomas Loibl, Brían F. O’Byrne, Isabella Rossellini, Rony Kramer; États-Unis; 2023; 120 minutes.
Malik Berkati
© j:mag Tous droits réservés