Fiancées, de Julia Bünter, brosse un portrait bigarré et intime des jeunes femmes égyptiennes à la veille de leur mariage
Présenté aux Visions du Réel 2019, le film de Julia Bünter sort sur les écrans romands le 4 mars 2019.
Le film de Julia Bünter propose une immersion au cœur de la société égyptienne, dans l’antre de l’intimité des jeunes filles alors qu’elles se préparent à franchir le pas et se marier, un rite initiatique crucial dans un pays qui revient de manière de plus en plus marquée vers la tradition et l’hégémonie masculine.
Fiancées suit donc le parcours de trois jeunes femmes égyptiennes vers le mariage. Tout en saisissant ce moment charnière, le film esquisse un portrait de la société contemporaine du Caire et de sa jeunesse, tiraillée entre des traditions immuables et un désir grandissant de liberté.
Ce documentaire nous permet de rencontrer ces trois jeunes filles dans leur vie quotidienne, entre confidences, avec d’angoisse mais aussi d’une immense attente, teintée de joie et d’impatience, brossant un portrait original de la société égyptienne contemporaine.
La séquence d’ouverture, rythmée par des youyous scandés par un groupe de femmes qui accompagnent une mariée tout de blanc vêtue pendant que les hommes tapent en rythme sur des darboukas tandis que les plus jeunes virevoltent sur des motos. La séquence suivante filme en gros plan la robe d’une future jeune mariée sur laquelle des mains habiles cousent des perles et de la dentelle.
Julia Bünter s’est installée au Caire en 2015 pour accompagner avec sa caméra trois couples en chemin vers leur émancipation. Dans la mégalopole du Caire qui comte plus de vingt millions d’habitants, la société vient à peine de sortir d’années de trouble et de tumultes qui ont provoqué des changements socio-politiques, culturels, et bien évidemment politiques profonds, laissant la jeunesse du pays éprise de liberté et modernisme mais toujours sous le joug de la tradition et des conventions religieuses et sociétales d’autant plus vivaces que l’Égypte connaît une situation instable.
Séquence suivante : une jeune femme range ses affaires dans un grand cabas, s’apprêtant à quitter le foyer parental pour fonder le sien, en passant par l’étape fondamentale et nécessaire du mariage. La caméra de Julia Bünter nous montre ensuite Batool et Bassam, comédiens en devenir, au jeu maladroit, qui mettent en scène dans une sorte de mise en abime des scènes d’amour kitsch.
Puis, après avoir observé des tableaux religieux et des images de saints, on découvre Marize et Ramy, issus tous deux de familles chrétiennes aisées. Les fiancés parlent de célébration à l’église avec leurs trois cents invités puis on les voit rencontrer un organisateur de mariage qui fait les comptes des débits de boissons, alcoolisées et non alcoolisées, des plateaux de fromages, tout en empochant avec avidité des liasses énormes de livres égyptiennes; les fiancés ont pris entre deux sentiments : la joie de voir le jour J approcher et l’affolement devant les chiffres articulés qui semblent dépasser leur budget.
Puis Julia Bünter nous présente Randa, toujours chaperonnée par son frère jusqu’au mariage, et son fiancé et Abdelrahman, deux jeunes éduqués dans un milieu traditionnel, qui tentent de concilier leurs aspirations individuelles et les contraintes sociales particulièrement oppressantes.
Issus d’un milieu traditionnel, Randa et Abdelrahman aspirent à plus de liberté et d’autonomie dans leur vie maritale qui demeure sujette à caution et reste un sujet abordée par la mère et une conseillère, des « directrices de conscience » qui sont une étape obligatoire pour Randa qu’elles sermonnent sur la question de la contraception et des tâches ménagères, qui selon ces deux femmes, ont été attribuées aux femmes par Dieu comme la procréation. La mère de la future mariée raconte, scandalisée, qu’elle est arrivée dans un foyer et a trouvé l’homme en train de faire la lessive, une situation qu’elle estime scandaleuse. Rand essaie en vain de faire entendre ses revendications d’égalité et de parité qui ne semblent avoir aucune place dans ce milieu rigoriste.
Le documentaire de Julia Bünter souligne combien le patriarcat régit les rapports entre hommes et femmes quels que soient les milieux sociaux et les confessions religieuses. Ainsi, le père de Batool rappelle à son futur gendre qu’il demeure l’intermédiaire inéluctable de leur union.
La cinéaste observe un processus mais ne porte jamais de jugement d’opinion. En filmant ses protagonistes, leurs doutes et leurs interrogations au plus près, elle brosse avec finesse et subtilité la jeunesse d’une société en pleine mutation après le séisme de la révolution au sein des classes moyennes égyptiennes.
Au lieu d’envisager le mariage comme l’union, dans l’amour et l’harmonie, de deux êtres, Fiancées de Julia Bünter aborde par le biais de cette rencontre avec les fiancés les rapports de genres dans la société égyptienne prise dans l’étau des traditions ancestrales et les velléités de modernité et d’émancipation, une vision originale et révélatrice des disparités et des ambiguïtés d’une jeunesse en perte de repaires.
Firouz E. Pillet
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