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Opéra Semper de Dresde – Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg (Die Meistersinger von Nürnberg) : Cinq heures et quarante minutes de bonheur

Seul opéra comique de Wagner en même temps qu’une suite, 200 ans plus tard, de son Tannhäuser, Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg apparaît, au-delà d’une revanche du compositeur sur l’establishment musical de son époque, comme une réflexion sur l’art. On y retrouve l’éternelle querelle entre les ‘anciens’, partisans du conservatisme et de la ‘règle’, et les modernes ouverts à la créativité.  Selon  l’historien Michael Tanner, il s’agit du ‘conflit entre imagination et forme’ et par-dessus tout de ‘la relation entre l’artiste et son public.’ Un public allemand! Car les Maîtres-chanteurs glorifie d’abord l’Allemagne, son histoire et ses traditions lyriques, dans un nationalisme que le Troisième Reich récupérera tristement à son avantage, et au détriment de l’héritage wagnérien.

Ensemble der Semperoper Dresden, Sächsischer Staatsopernchor Dresden, Komparserie – Die Meistersinger von Nürnberg
© Semperoper Dresden/Ludwig Olah

Ce conflit entre conservatisme et créativité se reflète particulièrement bien dans une ville de tradition comme Dresde, où Wagner fût maître de chapelle pendant des années et où il écrivit son Lohengrin. L’opéra Semper de Dresde, en tant qu’institution dévouée à l’art, se voit constamment tiraillé entre le besoin de renouveler son public au sein de productions modernes et de nouveaux compositeurs, et celui de ne pas s’aliéner ses fidèles. Au niveau politique, la population de Dresde elle-même se voit confrontée à ses nouveaux habitants issus du Moyen-Orient, de l’Asie ou de l’Afrique, lesquels amènent avec eux leur bagage culturel et politique, leurs idées et leur cuisine, ce qui ne va pas sans mal dans cette ancienne ville de la trop racialement homogène RDA. Qu’après 35 ans, Christian Thielemann ait recréé Les Maîtres-chanteurs au Semperoper, au moment même où les démonstrations pour et contre l’extrême-droite sont à leur summum dans la ville tient (1), il faut le dire, à la disponibilité de la brochette de stars qu’il y a réuni. On n’assemble pas sur une même scène Klaus Florian Vogt, Camilla Nylund, Christa Mayer et Georges Zeppenfeld en criant chapeau! Mais c’est une heureuse coïncidence.

— Sebastian Kohlhepp, Klaus Florian Vogt, Sächsischer Staatsopernchor Dresden – Die Meistersinger von Nürnberg
© Semperoper Dresden/Ludwig Olah

L’action tel qu’imaginée par Wagner se déroule au sein de la Nuremberg du milieu du XVIe siècle. La ville était alors renommée pour ses joutes artistiques, dans la tradition des concours de minnesänger du Moyen-Âge qui constituait le cœur de Tannhäuser.  Les maîtres chanteurs, un groupe d’artisans-poètes, préparent un concours de chant entre les artisans de la ville. Le vainqueur gagnera la main d’Eva (Camilla Nylund), fille du riche organisateur de cette compétition vocale, le joaillier Pogner (Vitalij Kowaljow.  Convoitée par le greffier Beckmesser (Adrian Eröd), Eva est tombé amoureuse d’un nouveau-venu, le chevalier Walther von Stolzing (Klaus Florian Vogt). Pour gagner la main d’Eva, ce dernier, en dépit de son manque d’expérience dans les règles complexes de la poésie lyrique, tentera sa chance au concours. L’approche dudit concours donnera lieu à de multiples intrigues politiques et amoureuses, mais elle va surtout créer des  affrontements esthétiques entre les maîtres-chanteurs établis, conservateurs et défenseurs de la tradition – particulièrement Beckmesser, et Stolzing qui incarne l’avenir et le refus des conventions. Au centre des querelles on retrouve le cordonnier Hans Sachs (Georg Zeppenfeld). Homme sage et généreux en même temps que poète raffiné et chanteur hors concours, Sachs sera l’apôtre de la difficile cohabitation entre conservatisme et modernité.

 

Christian Thielemann fait avec Wagner le choix de la lenteur, ‘Avec moi, les Maîtres-chanteurs, cela dure cinq heures et quart’ lança-t-il lors d’une rencontre publique. Ce choix permet non seulement à la musique de se déployer dans la richesse de ses sonorités, mais il utilise à bon escient l’incomparable acoustique de l’opéra Semper. Pas question pour le maestro de laisser éclater les cuivres, comme le font tant d’autres chefs. Tous les instruments de l’orchestre sont traités avec les mêmes égards. ‘Tout est déjà là dans la partition de Wagner’ affirme Thielemann.  ‘Je ne cherche pas à donner une ‘interprétation’ de la partition. Mon ambition se limite à rendre ce qui est déjà là.’

La mise en scène de Jens-Daniel Herzog, vivante et colorée, nous présente d’abord un groupe de bourgeois en costumes de la Renaissance, assistant à la messe dans une Église. À la fin de l’ouverture, on se rend compte qu’il s’agit de figurants répétant dans un théâtre. Des coulisses émerge le jeune David (Sebastian Kohlhepp), apprenti de Hans Sachs, habillé en technicien de scène contemporain. Ayant pour mission d’organiser le concours de chant du lendemain, il dirigera les chœurs formé d’un groupe de jeunes techniciens qui, tout au long des trois actes, seront en constant mouvement, à la limite du burlesque. Ce mouvement incessant des chœurs sous-tend la légèreté et la sensualité de la brillante partition de Wagner.

Georg Zeppenfeld, Günter Haumer, Roman Astakhov, Patrick Vogel, Oliver Zwarg, Iurie Ciobanu, Klaus Florian Vogt, Vitalij Kowaljow, Rupert Grössinger, Beomjin Kim, Christian Hübner, Markus Miesenberger – Die Meistersinger von Nürnberg
© Semperoper Dresden/Ludwig Olah

La mise en scène de théâtre dans un théâtre de Herzog offre ici un petit tour amusant. De même qu’à Salzbourg où a eu lieu la première, les décors créés par Mathis Neidhardt reproduisent le théâtre où l’opéra est représenté, dans notre cas, le Semperoper. L’effet est non seulement bluffant mais actualise le propos, tout en offrant le délice du bureau de l’intendant Peter Theiler reproduit en détail et transformé au deuxième acte en celui du cordonnier Hans Sachs. Cet humour dans la mise en scène, combiné à une grande intelligence de décors fonctionnant sur jusqu’à trois paliers, éclaire les trois actes et donne même à un néophyte du théâtre wagnérien la chance de passer un bon moment.

La distribution, regroupant les plus grandes star de l’art lyrique allemand, reste d’une belle homogénéité, ce qui est assez remarquable pour une œuvre qui requiert plus de quinze solistes. Chacun a une belle vaillance vocale et une vraie présence scénique, qualités essentielles pour un opéra aussi long. Citons quand même celui qui est la cheville-ouvrière des Maîtres-chanteurs, Georg Zeppenfeld, lequel a préparé pendant deux ans le rôle, si exigeant, du cordonnier Hans Sachs. Diction et projection de la voix impeccables, timbre chaleureux, Zeppenfeld assure vocalement, avec tout de même un léger fléchissement au troisième acte, mais avec l’immense générosité qui lui est habituelle. Notons également la présence scénique d’Adrian Eröd, qui interprète le rôle encore plus lyriquement complexe de Beckmesser, avec une grande capacité comique et une technique virtuose.

Nous avons remarqué avec bonheur la présence de plusieurs enfants dans le public qui, debout sur leurs fauteuils, applaudissaient de toute leur force à la fin, preuve d’un spectacle réussi. Les enfants savent toujours reconnaître quand quelque chose de vrai se passe sur la scène. Ils resteront toujours les plus impitoyables critiques.

Anne-Christine Loranger

(1) Le13 février 2020, Dresde célébrait le 75ième anniversaire des bombardements qui ont détruit la ville en 1945. La première des Maîtres-chanteur avait eu lieu le 26 janvier.

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Anne-Christine Loranger

Journaliste / Reporter (basée à Dresde)

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One thought on “Opéra Semper de Dresde – Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg (Die Meistersinger von Nürnberg) : Cinq heures et quarante minutes de bonheur

  • Le trailer donne particulièrement envie de découvrir cette mise en scène.

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