Cinéma / KinoCulture / Kultur

FIFF 2024 : Didy, de François-Xavier Destors et de Gaël Kamilindi, suit les traces de la mémoire de la mère d’un des réalisateurs pour brosser le portrait de toute une génération de Rwandais.e.s qui poursuivent le difficile deuil de leurs proches

Le documentaire Didy, co-production entre la Suisse, la France et le Rwanda a été projeté en Compétition nationale du Festival Visions du Réel 2024 et figure dans le programme de la 39ème édition du Festival International du Film Francophone de Namur. Ce film suit Gaël Kamilindi, acteur de la Comédie française d’origine rwandaise, dans son voyage au Burundi et Rwanda sur les traces de sa mère, victime de la discrimination des Hutus envers les Tutsis, et décédée du sida peu de temps avant le génocide lorsque Gaël était encore enfant, âgé de cinq ans.

Didy de François-Xavier Destors et Gaël Kamilindi
© Adok Films

Le film s’ouvre sur le jeune homme qui feuillète des albums de photographies en noir et blanc. Puis, répondant à une question posée par son amie, l’actrice Kayije Kagame, sur sa quête quête existentielle, Gaël Kamilindi explique son besoin de partir sur les traces de sa mère et de son enfance, une nécessité vitale survenue alors qu’il a vingt ans :

« C’est le fait d’être confronté au vide qui m’a poussé à partir au Rwanda et au Burundi, à Bujumbura. L’homme qui m’accompagnait m’a dit : « Votre mère est peut-être là, là ou là. » Depuis, le terrain a été viabilisé et ils ont reconstruit dessus. »

Face à ce vide vertigineux, empli de questions insolubles et d’une douleur immense, le jeune homme part donc au Rwanda, terre qui l’a vu naître, accompagné de François-Xavier Destors, sur les traces de cette mère, Didy, tant aimée mais presque inconnue. « Didy est partout », poursuit Gaël Kamilindi en choisissant de faire dialoguer des archives poignantes qui émeuvent intensément avec les souvenirs des survivant·e·s. Cette juxtaposition de souvenirs et de témoignages amène Gaël à reconstituer le portrait de sa mère et d’enfin commencer le douloureux cheminement de deuil qui semblait jusqu’alors impossible.

Trente ans après ce massacre massif, on se souvient : Le 6 avril 1994, l’avion ramenant de Dar-es-Salaam à Kigali le président rwandais hutu Juvénal Habyarimana est abattu. Dès le lendemain, les extrémistes hutus déclenchent le massacre des leaders de l’opposition hutu et l’extermination des Tutsis. Des images terribles et tragiques abondent sur les chaînes de télévision du monde entier, affolantes, édifiantes. Les spécialistes commentent le drame qui se déroule sous nos yeux : le génocide des Tutsis s’enracine dans la politique coloniale et l’idéologie du XIXe siècle. Le colonisateur belge choisit en un premier temps de s’appuyer sur les Tutsis en créant le mythe de leur supériorité sur l’autre communauté, les Hutus. L’ethnisme a provoqué l’exil de nombreux Tutsi. La revendication des Tutsis en exil de revenir au pays s’est toujours heurtée aux pouvoirs Hutus entre 1959 et 1994. Ainsi, la volonté des Tutsis de revenir au pays par les armes a déclenché une guerre civile.

Trente ans plus tard, le travail de mémoire de tout un pan de la société rwandais est toujours d’une brûlante actualité. Gaël entame son propre travail de mémoire, celui d’une mère qu’un fils n’a pas eu le temps de connaître, celui d’une mère dont le fils ne sait pas où se trouve la sépulture… Ou plutôt la dépouille, car la majeure partie des victimes du génocide n’a pas eu droit une quelconque sépulture.

Les souvenirs de sa présence sont à la fois présents et absents, enfouis dans la folie meurtrière du génocide et du SIDA qui ont ravagé le Burundi puis le Rwanda, peut-être fantasmés par cet enfant qui a dû prendre le chemin de l’exil de manière prématurée. Gaël reste lucide sur son chemin de vie :

« Comme je n’ai pas vécu son enterrement et que je n’ai pas souvenir de cela, tout un coup confronté au vide, cela a réveillé, a réactivé le manque de souvenirs, l’absence, et la nécessité tout un coup de vouloir inscrire les choses en moi. »

Aujourd’hui, il se plonge dans les pages de l’album de photographies, seule bribe de vies brisées, la sienne et celle de sa mère, mais aussi celle de ses proches, sondant l’histoire familiale tout en partant à la rencontre de celles et ceux qui l’ont connue, aimée, côtoyée, accompagnée. Chaque personne que Gaël rencontre lui fournit une pièce qui lui permet de reconstituer le puzzle énigmatique de Didy. Une Rwandaise témoigne : « Cela a été très long d’accepter que ma mère ne revienne jamais. C’était très difficile. Quand tu ne fais pas de deuil, c’est inacceptable. Je n’arrive pas à clôturer ce chapitre-là. » Une triste et terrible réalité qui touche autant la minorité Tutsi, mais aussi les milliers de Hutus qui s’opposent au régime et qui sont éliminés.

En revenant au Rwanda toujours en reconstruction, suivant les traces de Didy, Gaël en apprend à chaque rencontre un peu plus. Observant trois sœurs qui le guident sur les pas de sa mère, Gaël en esquisse le portrait et apprend à connaître une génération de femmes rwandaises qui ont survécu à l’inimaginable. Les trois sœurs lui montrent des bananeraies où sa mère venait regarder les champs; elles commentent le vide laissé par le génocide : « Il y avait un chemin qui menait aux champs, il y avait une maison où vivaient des gens. Ta maman montait pour voir les champs de bananiers, se faisait une petite place, s’y asseyait et vers onze heures, elle redescendait pour voir ce qui se passait à la cuisine.»

Une amie témoigne :

« Quand ils m’ont amenée à la préfecture, j’y ai vu Didy. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait là : elle m’a répondu : « Ils sont venus me cherche. » Même si la répression sévissait depuis 1959, les gens ne s’y habituaient pas. Ils nous ont amenées au « 1930 » qui a été un coup pour Didy. Avant, les tortures concernaient davantage les hommes. Mais, en 1994, cela concernait aussi les femmes. »

Grâce à ce documentaire, on réalise que les femmes pouvaient aussi être des génocidaires sanguinaires. Entre avril et juillet 1994, des femmes issues de la société civile rwandaise participent activement au génocide perpétré contre les Tutsis. Parmi elles, des notables, connues pour leur militantisme extrémiste « pro hutu ». La devise de Nyiaramasuhuko, la ministre de la Famille et de la Promotion féminine du « gouvernement intérimaire » qui a orchestré le génocide, criait l’ordre glaçant au mégaphone. « Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! ».

Didy de François-Xavier Destors et Gaël Kamilindi
© Adok Films

Du 6 avril 1994 au 17 juillet 1994, près d’un million de Rwandais vont trouver la mort, essentiellement des Tutsis assassinés par les extrémistes Hutus. Lorsqu’en juillet 1994, les troupes du Front patriotique rwandais (FRP) prennent le contrôle du pays, la ministre, comme de nombreuses femmes génocidaires, fuit à Bukavu, au Zaïre voisin (actuelle RDC). Avec d’autres génocidaires, elle se cache ensuite au Kenya, où elle est arrêtée en juillet 1997.

« Comment faire sépulture quand il n’y a pas de corps ? », questionne le documentaire de François-Xavier Destors et Gaël Kamilindi. Ce film, à la fois quête personnelle et enquête, aborde avec pudeur et délicatesse le travail de deuil qui semble impossible dans un contexte où les non-dits restent encore légion et les blessures encore vertes. Une des trois sœurs commente : « Pour nos défunt.e.s, je ne voulais pas faire de dalles. J’ai creusé un trou en forme de cœur, j’y ai mis de la terre puis planté des fleurs. »

Replongeant le public dans les affres de la guerre civile, mais aussi dans le contexte de l’arrivée du VIH, à travers le prisme des violences inimaginables et des discriminations infligées au peuple Tutsi dès les années 1960, Gaël Kamilindi prend pleinement conscience qu’il appartient à cette génération d’enfants de « l’après »génocide, à l’instar du chanteur belgo-rwandais Stromae. Une Rwandaise, torturée dans les geôles durant le génocide, assène :

« Nous, nous sommes une génération qui n’a ni enfants ni vieux. On est juste des serpents ! »

Une fois exilé, Gaël a rapidement oublié la langue de son enfance, perdu les odeurs de son pays censées nourrir ses souvenirs. Ce documentaire, rendu possible grâce au compagnonnage de François-Xavier Destors, permet à Gaël de ritualiser le deuil à travers les souvenirs et les anecdotes qui lui sont fournis : « J’aurais tellement voulu cela : retrouver ce qu’il reste de ma mère pour l’enterrer ici, avec les siens, pour qu’elle soit enfin chez elle, dans la quiétude de cette terre où pourtant aucun lieu n’est innocent. »

À tâtons, Gaël fait revivre sa mère à travers son amie, l’actrice Kayije Kagame qui lui ressemble de manière troublante quand elle porte les lunettes de la défunte. Elle aussi a reçu en héritage les blessures ouvertes de son pays qui se reconstruit encore grâce aux bouleversants témoignages des survivant.e.s du génocide le plus effroyable de la deuxième moitié du vingtième siècle. Un pays aux couleurs chatoyantes qui semble si paisible quand résonne le gazouillis des oiseaux dans les branches des palmeraies.

Firouz E. Pillet, Namur

© j:mag Tous droits réservés

Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

Firouz Pillet has 1058 posts and counting. See all posts by Firouz Pillet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*