FIFOG 2023 – Rencontre avec l’artiste peintre Ramë Beqiri, Albanais du Kosovo
Le Festival International du Film Oriental de Genève (FIFOG) ouvre traditionnellement son espace de rencontres culturelles aux arts et à la littérature. Cette année, une exposition collective de trois artistes a lieu à l’Espace Hornung de la Maison des arts du Grütli du 12 au 18 juin (vernissage le 13 juin), avec l’artiste libanaise arménienne Alexandra Bitar qui explore l’effet de l’anxiété sur sa génération, Héla Ammar, tunisienne, dont les photographies et installations traitent de l’enjeu de la mémoire et Ramë Beqiri qui rend, à travers son art, hommage aux disparus de la guerre au Kosovo.
L’artiste albanais du Kosovo, du petit village Koshare dans la région de Ferizaj, vit depuis 2006 en Suisse. Sa carrière artistique a pris des chemins de traverses qui l’ont amené du théâtre et la pantomime à une carrière de peintre. Rencontre.
Pouvez-vous nous expliquer votre parcours artistique atypique ?
J’ai commencé par jouer avec une troupe de théâtre au Kosovo avec laquelle j’ai beaucoup voyagé, en France, en Allemagne et en Suisse. Nous avons gagné beaucoup de prix au Kosovo et en Allemagne. Quand je me suis installé en Suisse, je n’ai pas réussi à poursuivre ma carrière dans le théâtre, monde dans lequel il est difficile de s’intégrer quand on n’a pas de réseau. J’ai commencé à peindre chez moi. En allant visiter des galeries, je me suis fait quelques connaissances parmi les artistes et les galeristes. Pendant deux-trois ans, j’ai travaillé ma peinture chez moi. Un jour, quelqu’un qui aime beaucoup ce que je fais a vendu quelques-uns de mes tableaux. Cela m’a donné confiance, car lorsque j’ai commencé, je ne savais pas si mon univers artistique valait quelque chose ou pas. Cela m’a ouvert des possibilités et quelques expositions ont suivi en Suisse. Lorsque je me suis trouvé exposé à Paris, j’ai attiré l’attention d’un critique d’art qui a aidé à ma promotion à l’international : j’ai exposé dans une galerie à Milan à la M.A.D.S Art Gallery et à Barcelone à la Casa Mila’ La Pedrera Gaudi Room.
Vous êtes donc autodidacte ?
Oui, je n’ai jamais pris de cours. C’est ce que les critiques d’art aiment d’ailleurs ! En France, j’ai fait une exposition collective où il y avait de nombreux professeur·es et critiques d’art et personne n’a cru que je n’avais jamais fréquenté une école d’art. Depuis, j’ai même reçu une invitation de l’Université de Sarajevo en Bosnie-Herzégovine où j’ai fait une sorte de master classe et une exposition avec les œuvres des professeur·es et étudiant·es bosnien·nes.
Vous ne faites donc plus de théâtre ?
Non, en tant qu’acteur, j’ai fait quelques courts métrages à Genève, à Bruxelles, en France, mais je suis concentré sur la peinture, car pour moi, c’est une discipline artistique qui me permet de mieux exprimer mes émotions. C’est à Genève que j’ai découvert cette voie d’expression.
Qu’est-ce que vous amène la peinture, que ne vous amène pas le jeu ?
J’aime observer. Je regarde les gens dans la rue, dans leur quotidien, leurs émotions ou leurs états d’esprit et je mets ce que je ressens dans ma peinture. Je veux transmettre un message d’amour, de paix, d’espoir. Cette exposition au FIFOG, par exemple, est faite en partenariat avec l’Association le Jardin des Disparus de Meyrin (association des victimes de la disparition forcée, N.D.A.). Comme je viens du Kosovo où énormément de gens attendent toujours le retour des leurs, je suis très familier avec cette triste situation (sur ce sujet, nous conseillons le film Hive (Zgjoi) de Blerta Basholli – lire ici la critique du film et l’interview de la réalisatrice, N.D.A.). À Genève, il y a beaucoup d’organisations humanitaires, mais il n’y a pas grand-chose qui est fait pour rechercher les personnes disparues lors des conflits. Je veux faire passer ce message avec cette exposition : il faut entreprendre plus pour cette cause.
Quel genre de peinture faites-vous ?
Je fais de la peinture abstraite contemporaine, j’utilise des couleurs acryliques et des pastels à l’huile. C’est ce qui me permet de mieux m’exprimer. J’ai trouvé à présent un équilibre, je sais ce que je fais. Je suis content, car maintenant, grâce à la peinture, j’ai trouvé comment communiquer et entrer en contact avec les gens. Quand on arrive ici, ce n’est pas facile de s’insérer. D’ailleurs, à mon tour de faire le lien : avec une association ukrainienne, je vais collaborer avec une artiste ukrainienne pour une exposition à l’automne à la Galerie 548 d’Hermance ; une partie du prix de la vente de nos tableaux ira à l’aide aux réfugié·es ukrainien·nes.
Malik Berkati
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