Cinéma / KinoCulture / Kultur

Garçon Chiffon, premier long-métrage de Nicolas Maury propose un autoportrait de son ego, de son moi et de son surmoi

Jérémie Meyer (Nicolas Maury), la trentaine, peine à faire décoller sa carrière de comédien. Sa vie sentimentale est mise à mal par ses crises de jalousie à répétition et son couple bat de l’aile. Il décide alors de quitter Paris et de se rendre sur sa terre d’origine, le Limousin, où il va tenter de se réparer auprès de sa mère, Bernadette Meyer (Nathalie Baye).

— Nathalie Baye et Nicolas Maury – Garçon Chiffon
Image courtoisie Sister Distribution

Faisant partie de la Sélection Officielle Cannes 2020, Garçon Chiffon nous livre le journal intime d’un comédien d’une trentaine d’années – plus proche de la quarantaine que de la trentaine – qui peine à décrocher des rôles à la mesure de son talent. Pire, son couple bat de l’aile à cause de sa fragilité émotionnelle – peut-être mentale – manifeste et de sa jalousie maladive, voire viscérale à l’égard de celui qu’il appelle « son mari » et qu’il surveille même sur son lieu de travail en pleine intervention médicale. Le bilan de sa vie est dramatique mais il peut fort heureusement compter sur l’amour infaillible sa maman, Bernadette (Nathalie Baye, qui, depuis Les gardiennes de Xavier Beauvois, semble se plaire à la campagne), qui garde toujours les portes grand ouverts pour accueillir son chérubin qu’elle appelle tendrement « mon chiffon ». Devant l’impasse que Jérémie vit, il décide de retourner sur la terre qui l’a vu naître et grandir pour un retour aux sources salutaire auprès de l’affection de sa maman.

C’est une lapalissade : les artistes puisent leurs sources d’inspiration dans leur propre vie et leurs propres expériences. Nicolas Maury ne faillit pas à cette règle en réalisant son premier long métrage qu’il décrit en ces termes :

« C’est l’histoire d’une crise de couple d’une séparation qui va se transformer en réparation. Ce jeune homme part chez sa mère, dans le Limousin pour se séparer. Il va y découvrir des choses existentielles, un peu surprenantes. C’est une œuvre plus personnelle qu’autobiographique. Le fait que ce soit un acteur qui vient du Limousin pourrait faire miroiter quelque chose d’autobiographique mais c’est vraiment une fiction. Mon geste est personnel, ce qu’il y a de vraiment autobiographique, c’est de poser ce film-là. Je fais une différence entre l’anecdote et le détail. L’écriture pour moi, c’est de l’ordre du détail et pas de l’anecdotique. Je fais ce film pour toutes les filles chicons et tous les garçons chiffons, qui peuvent être vieux aussi. Toute personne ostracisée, quelque que soit sa sexualité et sa couleur de peau, cela m’est insupportable. Je fais ce film aussi pour le vrai héroïsme, c’est de se battre pour être pour être accepté. Vu le contexte, je crois qu’on a besoin plus que jamais de fictions réparatrices qui, plutôt que de nous inquiéter, qui viennent nous réparer, qui viennent nous faire nous rejoindre. »

Nicolas Maury se défend d’avoir réalisé un film autobiographique mais avoue s’être inspiré d’une passion dévorante qu’il a vécu adolescent, alors qu’il venait de débarquer à Paris de son Limousin natal. Une passion accompagnée d’une jalousie envahissante :

« Je crois que la jalousie est un puissant déchiffreur du monde, au sens où elle incite à vouloir avoir raison de ce qu’on imagine. Et le drame, si j’ose dire, c’est que le jaloux n’a pas forcément tort. Il se fait un film dans la tête et le truc de dingue, c’est que très souvent le film a raison. La jalousie, c’est comme un acouphène, un bruit de fond que l’on est le seul à percevoir et qui à force de ressassement douloureux donne parfois envie de disparaître. Ma propre mère vivait dans cette inquiétude et j’en étais imprégné au point que j’ai deviné à l’âge de neuf ans que mon père avait une maîtresse. »

Décidément, pour un film qui n’est pas autobiographique, mais bel et bien une fiction, c’est à s’y méprendre quant aux sources d’inspiration du scénario ! D’ailleurs, dans une mise en abîme, le personnage de Jérémie répète le texte de L’Éveil du printemps, de Frank Wedekind, un texte consacré à l’adolescence et ses affres, un texte que Nicolas Maury connaît bien puisqu’il l’a joué au théâtre et en garde un souvenir intense :

« J’avais l’impression en jouant d’être dans un état d’auto-hypnose quasi permanent : devant moi, à côté de moi et cependant hyper présent. »

— Nicolas Maury – Garçon Chiffon
Image courtoisie Sister Distribution

Si les spectateurs et spectatrices avaient encore un doute, cet élément vient conformer cette étrange impression d’avoir affaire un adolescent attardé face à Jérémie. Au début du film, alors que le décor est planté sous nos yeux, on conserve un regard bienveillant pour Jérémie et on espère voir la chenille devenir chrysalide et se transformer en un magnifique papillon. Bien évidemment, Jérémie parle comme Nicolas Maury, avec une petite voix fluette et ténue mais on se demande au fil du film si l’acteur-réalisateur n’a pas forcé le ton en prêtant une voix geignarde et plaintive à Jérémie, une voix qui finit par agacer autant que ses crises de jalousie et son nombrilisme … Nicolas Maury est dans tous les plans ! Il devient rapidement difficile d’accompagner un personnage aussi torturé que Jérémie qu’on a plutôt envie de secouer et d’exhorter à porter son regard sur le monde extérieur, sur l’altérité au lieu d’admirer son reflet, tel Narcisse, dans l’eau de la source.
À l’instar de Dix Pour Cent où Nicolas Maury incarne un agent d’acteur, Garçon Chiffon se déroule dans le monde du cinéma, avec lequel le réalisateur et comédien n’est pas tendre :

« C’est strictement du vécu. Des coups de couteaux qui prétendent être des caresses, c’est ça le cinéma ».

Question : Si ce que vit Jérémie en tant qu’acteur est « strictement du vécu », ne s’agirait-il pas d’un film autobiographique ? À moins que la substantifique moelle de ce film soit moins limpide …
C’est sur le plateau de Dix pour Cent que Nicolas Maury a rencontré Nathalei Baye :

« Elle m’avait conseillé de laisser du temps au temps. Quand le temps fut venu, ce fut une rencontre absolue et alchimique. Nathalie Baye comprend tout, avec cœur et courage. Son personnage est aussi important que celui du héros. Ce film n’est pas tant le portait de la mère d’un jeune homme homosexuel, qu’une enquête existentielle sur une femme inattendue qui a tracé son destin, vit sa vie dans un village du Limousin entre ses gîtes et ses abécédaires au point de croix, mais qui a aussi défriché un chemin broussailleux pour atteindre l’identité imprenable de son fils ».

Nicolas Maury a envisagé beaucoup d’acteurs pour incarner le premier rôle de Garçon Chiffon mais aucun ne convenait, non pas parce qu’ils manquaient de talent ou par problème de ressemblance ou de dissemblance.

« En fait, mes hésitations masquaient un désir un peu honteux et prétentieux. Il fallait que je me voie. Je voulais être regardé là où je ne suis pas regardable. À la fois comique, fantaisiste et tragique jusqu’au pathétique puisque évidemment il y a du grotesque dans le drame. »

Enfin, le mot est lâché et les masques tombent même si, rappelons-le, il s’agit d’une fiction : quoi de mieux que d’incarner soi-même un personnage si, étrangement, proche de soi !

Garçon Chiffon souffre de longueurs … Que de longueurs, encore et toujours, pour justifier les crises existentielles de Jérémie. Si le film débute comme une comédie, le film glisse vers des registres divers et s’éloigne du réalisme, en particulier lors de la séquence des religieuses, un procédé que l’acteur-réalisateur explique ainsi :

« La surréalité pour moi est une des nombreuses formes du réel. Les bonnes sœurs que Jérémie appelle des mères sont des réparatrices qui ne mâchent pas leurs mots, traitant Jérémie d’enfant capricieux qui s’accroche, mais capables aussi de lui offrir un élixir à base de houx qui est comme une potion magique pour qu’il guérisse de sa jalousie ».

Ce premier long métrage de Nicolas Maury fait l’unanimité auprès de la presse française dont de nombreux titres lui attribuent cinq étoiles pour nos confrères et consœurs des Inrockuptibles, quatre étoiles pour Les Fiches du Cinéma et L’Humanité, trois étoiles pour Libération, Positif et Le Monde … Un des rares médias à lui attribuer une seule étoile sont Première et Le Nouvel Observateur.
Saluons, cependant, la prestation toute en finesse de Nathalie Baye, l’excellente présence du chien qui nous est fort sympathique et donnons une mention spéciale à la bande-son, signée Olivier Marguerit, auteur-compositeur-interprète, musicien, multi-instrumentiste et arrangeur français.

Firouz E. Pillet

© j:mag Tous droits réservés

Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

Firouz Pillet has 1058 posts and counting. See all posts by Firouz Pillet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*