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Lacci ( Les Liens) de Daniele Luchetti – Famille je te hais… mais je ne peux pas vivre sans toi !

Lacci débute par une joyeuse tarentelle qui réunit les générations, puis un père qui lit une histoire à ses enfants en les mettant au lit, mais très vite on ressent une petite tension dans cette image d’Épinal qui se transforme en récriminations de la mère envers l’homme.

— Luigi Lo Cascio et Alba Rohrwacher – Lacci (Les liens)
© Gianni Fiorito

Nous sommes à Naples au début des années 80, Vanda (Alba Rohrwacher) et Aldo (Luigi Lo Cascio) forment un couple dysfonctionnel qui vole totalement en éclat quand Aldo avoue à sa femme avoir une liaison. Vanda est totalement déboussolée par cette annonce et part dans tous les sens, suit toutes les émotions qui la traversent de manière organique, que ce soit la colère, la révolte, la dépression, la résignation, l’acharnement…

« J’ai le droit de savoir si tu es amoureux pour pouvoir m’orienter. »

dit Vanda qui n’aura de cesse de tanguer sur ses sentiments et son ressentiment pour faire revenir son mari au bercail. Aldo lui, résistant à ses pressions, même la plus ultime, finira par lui asséner :

« Je ne peux pas me suffoquer pour t’éviter de suffoquer. »

Aldo est un homme de radio assez célèbre pour passer sur les ondes de la RAI et se rendre à Rome pour faire ses émissions littéraires. C’est là qu’il rencontre Lidia (Linda Caridi), une collègue plus jeune, mais surtout en admiration devant lui,  avec laquelle il noue une relation. Lorsque sa femme le met à la porte de la maison, il ne proteste pas. De toute évidence, c’est une libération que de sortir de son cadre familial et reprendre corps auprès de ses amis, d’une jeune femme et de sa cour. Le caractère d’Aldo est, dans sa période de jeune père, très bien cerné : Il se laisse naviguer sur les eaux des petites lâchetés et de l’indécision quant à ce qu’il convient de faire, d’assumer, de décider ; ce sont toujours les femmes qui doivent le confronter, le mettre face à ce qu’il ressent et le poussent dans l’une ou l’autre des directions qu’il peut prendre pour sa vie, à défaut de vouloir prendre. Et puis, dans une transition surprenante, nous voici 30 ans plus tard : Vanda (Laura Morante) et Aldo (Silvio Orlando) sont toujours mariés…

— Laura Morante et Silvio Orlando – Lacci (Les liens)
© Gianni Fiorito

Le film va donc traverser le temps et faire des allers-retours entre les années 80 – même si le grain de l’image donne une petite impression des années septante,  l’atmosphère de l’époque est très bien reproduite – et le présent, avec un jeu classique sur la saturation des images pour indiquer la période dans laquelle l’action se trouve, chaudes pour les années 80, plus froides pour le temps présent. Ces navettes temporelles permettent de complexifier le récit avec l’introduction du point de vue d’Aldo au travers duquel on appréhende une Vanda très instable et malaisée à vivre au quotidien.

Le point fort de Lacci est de ne pas juger, d’observer quelque chose de somme toute banale, avec assez de recul pour ne pas dépeindre de manière manichéenne une situation qui pourrait facilement basculer dans les apparences, diriger de manière inconditionnelle l’empathie sur Vanda en laissant de côté les conflits existentiels d’Aldo qui le poussent à être une de ces représentations de la lâcheté humaine. Au contraire, Daniele Luchetti met dos à dos ce couple qui se torture et se déchire de manière tantôt passive tantôt agressive, sans parti pris définitif pour l’une ou pour l’autre, car comme le dit l’adage, il faut être deux pour se quereller ! Il n’y a rien de spectaculaire dans ce film, ni de grandes révélations sur l’amour, le couple ou la famille, si ce n’est un rappel de l’influence des tourments entre les parents sur la construction des enfants qui, devenus adultes, se battent encore avec les failles creusées dans leurs enfances.

Les liens que font le titre et la trame du film sont une multiplication d’images sur les relations interpersonnelles qui peuvent se nouer comme se défaire sur un point, reprendre sur un autre raccommodé, comme cette scène des enfants devenus grands qui se retrouvent dans le « Bar dei Lacci » comme ils le surnomment, où le fils Sandro a appris un jour avec son père et sa sœur Anna à lacer ses lacets. Ce sont aussi des liens de prisons et de tortures mutuelles infligées, des liens d’ascendances, des liens de mémoires, ceux qui se tissent, même inconsciemment à la base d’une vie, des liens administratifs qui parfois sont plus résistants que ceux de l’amour libre, des liens de raisons, mais aussi ceux, invisibles et irrationnels, que les personnes n’arrivent pas à couper. Lorsque l’on voit Vanda et Aldo vieillisant.es, tous deux insatisfaits d’eux-mêmes et de leurs vies, on peut se demander s’il n’eut pas fallu qu’ils apprennent à se détacher l’une de l’autre…

— Luigi Lo Cascio, Joshua Cerciello et Giulia De Luca – Lacci (Les liens)
© Gianni Fiorito

Le film est servi par un remarquable travail de fluidité et continuité du scénario, chose qui n’est pas évidente dans le procédé de narration temporelle adoptée par Daniele Luchetti, un casting éblouissant et une cheffe décoratrice (Andrea Castorina) qui a su rendre parfaitement les époques, mais aussi, par l’agencement des espaces, l’atmosphère intérieure que respire les personnages.

Lacci, basé sur le roman éponyme de l’écrivain italien Domenico Starnone a fait l’ouverture du Festival international du film de Venise 2020 et a été sélectionné au Festival du film de Zurich 2020.

de  Daniele Luchetti; avec Alba Rohrwacher, Luigi Lo Cascio, Laura Morante, Silvio Orlando, Giovanna Mezzogiorno, Adriano Giannini, Linda Caridi ; Italie; 2020; 100 minutes.

Malik Berkati

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