Gloria: un petit bijou dans la compétition de la Berlinale
[update: Paulina García a reçu l’Ours d’argent de la meilleure actrice]
Ce film chilien, présenté en compétition à la Berlinale, fait partie de ces films qui récompensent le spectateur qui va au cinéma à 9h00 du matin, le met en joie dès la fin de la projection et le rend de bonne humeur pour le reste de la journée ; même s’il voit à 12h00 un soporifique et agaçant film français comme La Religieuse de Guillaume Nicloux.
D’excellents acteurs, une cinématographie maîtrisée, un scénario qui à travers une histoire simple aborde de nombreuses questions à caractère universel… tous les ingrédients pour être primé à cette 63è Berlinale. Certes, nous ne sommes même pas encore à la moitié du festival, mais ce film présenté ce dimanche à 9h00 met la barrière très haut pour la concurrence. Il est à craindre que pour le président du jury Wong Kar Wai, ce film ne soit techniquement pas totalement à son goût, mais du moins, concernant la catégorie meilleure actrice, il sera difficile d’ignorer Paulina García pour la course à l’Ours d’argent.
Lascia aperto il cuore – Gloria
Comme le dit la chanson, Elle laisse le cœur ouvert –Gloria ! Lumineuse, intense, pleine de vie qui ne demande qu’à être vécue, cette femme de 58 ans veut sortir de sa solitude et de son train-train quotidien. Elle se rend donc régulièrement à des soirées pour célibataires, elle y danse, s’amuse, rit. Ce bonheur fragile va se transformer dès lors qu’elle rencontre Rodolfo avec lequel elle va vivre une relation de passion. Elle se donne toute entière à cet amour, celui-ci pouvant être le dernier de sa vie. Loin des bals insouciants où elle prenait simplement du bon temps, elle se retrouve à danser sur la piste qui oscille entre espoir et désespoir, sur la bande-son de chansons sentimentales. Gloria va devoir trouver une nouvelle voie sur laquelle elle peut s’engager dans le dernier chapitre de sa vie, et réaliser qu’il n’est jamais trop tard pour s’enflammer et briller de tous ses feux.
Une nouvelle réalité dans la société
Ce film chilien est par certains côtés, et universel sur d’autres. L’histoire individuelle de Gloria fait écho aux questions de la société chilienne, « il y a une interaction constante entre l’individu et le collectif, les demandes de changements, de justice et de reconnaissance qui montre bien que la société chilienne est vivante », explique le réalisateur Sebastían Lelio (La Sagrada Familia, Navidad, El Año del Tigre), « l’inspiration principale du scénario, c’est la vie, des personnes que nous connaissons. Il y a bien sûr les éléments de fiction qui s’ajoutent à cela, ainsi que la poésie du quotidien de la ville de Santiago. » La musique joue un rôle essentiel dans ce film, elle fonctionne quasiment comme coryphée, en permanente interaction avec le cours du film et le parcours de Gloria. La bande-son de l’histoire est celle de la génération de Gloria, composée de chansons latino-américaines des hits chiliens. « Il y a du disco, de la salsa, des boléros, cumbias, du rock-n-roll, des chansons romantiques et une bossa nova : Waters of March de Tom Jobin. Cette bossa nova est primordiale dans l’élaboration de ce film, il a été comme un fil rouge pour nous, une mise en équilibre entre les rires et les pleurs, la tendresse et la souffrance. », confie le réalisateur.
De fait, ce film aborde des sujets sociétaux – les relations amoureuses entre les personnes qui entrent dans le 3e âge, la structure familiale décomposée – et des sujets sociaux comme les manifestations d’étudiants. Sebastían Lelio pense que « inconsciemment, nous avons abordé un sujet qui touche l’humanité et auquel il doit faire face : la vie s’allonge et ouvre de nouveaux chapitres de vie, de nouvelles opportunités à explorer. Il y a beaucoup de Gloria partout dans le monde et le film revendique l’existence, les droits de cette génération, ceux de vivre, danser, s’aimer. En ce sens, le message s’adresse aussi aux jeunes… qui deviendront âgés un jour également ! »
Briser les tabous
Sergio Hernández, qui joue avec brio Rodolfo, l’amoureux de Gloria tiraillé entre deux mondes, celui de son ancienne vie familiale et celui de son aspiration à la passion, pense « qu’il est possible qu’au Chili quelques scènes feront peur, car c’est une société assez hypocrite qui préfère que certaines choses restent cachées. Mais on ne devrait pas avoir peur car les personnes âgées sont toujours tombées amoureuses et, en passant d’ailleurs, on fait mieux l’amour à notre âge ! Il faut revendiquer notre droit à l’existence, arrêter de nous cacher, de nous mettre dans des placards. » Concernant les relations familiales il ajoute : « Nous avons du mal à faire face aux relations de couples et de la famille, à l’évolution de la femme dans la société. Nous les hommes avons de la peine à nous ouvrir à ces transformations, nous sommes un peu infantiles au Chili, nous manquons de courage. »
Paulina Gracía voit l’évolution de Gloria comme « un processus de rencontre, quelque chose de plutôt heureux que sombre. » Elle n’a pas le sentiment que Gloria soit en situation de perte, mais plutôt dans un « voyage en elle-même, elle doit cliquer sur quelque chose de nouveau, de totalement différent de ce qu’elle a vécu jusqu’à présent. Elle doit chercher à comprendre cette nouvelle vie avec de nouveaux yeux. Elle finit d’ailleurs par voir la situation et peut ainsi prendre des décisions claires. » À cet égard, le jeu constant avec ses lunettes dans le film, sa maladie oculaire sont autant de petites touches symboliques qui amènent à la possibilité de voir le monde avec un nouveau regard : « dans la nuit quelque chose s’ouvre dans un processus lumineux », termine-t-elle. Mais la vraie luminosité dans ce film se nomme Paulina García, les yeux brillants de son feu intérieur, au jeu désinhibé tout en pudeur, à l’éclatante beauté atemporelle, habitée par une force subtile mais concrète. Elle ne crève pas l’écran, elle le traverse et vient tout doucement mais fermement vous prendre par le bras pour la suivre dans son voyage.
Malik Berkati, Berlin
Gloria, de Sebastían Lelio, avec Paulina García, Sergio Hernández, Marcial Tagle, Diego Fontecilla, Chili/Espagne, 2012, 105 min.
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