La tournée des festivals continue pour le superbe film du mozambiquien Sol de Carvalho : Mabata Bata à (re)voir au festival Afrikamera à Berlin (7-11 novembre 2019)
Une introduction oxymorique spectaculaire ! De magnifiques paysages, une lumière douce et dorée de crépuscule du matin, un enfant qui court tout sourire… un bruit métallique – cut sur écran noir.
Basé sur la nouvelle de Mia Cout, O Dia Em Que Explodiu Mabata Bata (Le jour où a explosé Mabata Bata, 1986), ce film raconte l’histoire d’Azaria, un jeune berger orphelin, qui rêve d’aller à l’école mais doit garder le troupeau de son oncle Raul qu’il doit absolument faire engraisser car c’est son sésame pour pouvoir épouser la fille du chef du village. Le plus bel animal du troupeau destiné à payer la dot est Mabata Bata. Un jour, alors que, en compagnie d’un de ses camarades, le garçon joue avec une munition trouvée sur le sol, le bœuf s’éloigne du troupeau et explose sur une mine laissée par les combattants de la guerre civile qui dévaste le pays. Craignant les représailles de son oncle, Azaria s’enfuit dans la forêt, vers la maison qu’il habitait avec sa famille avant la guerre.
Mabata Bata est un film imprégné de traditions, de rituels, de superstitions, d’esprits qui hantent les vies des villageois mais permettent également, avec ce pas de côté narratif, de parler de ce qui détruit les individus, modèle l’histoire collective et les vies individuelles. Autre instrument original qui brouille les frontières du réel et du temps, l’incarnation d’Azaria qui est enfant, par un acteur adulte quand son esprit est invoqué alors que le narrateur a une voix d’enfant.
Sous des airs de fable tragique, le film de Sol de Carvalho nous parle, comme toutes les fables d’ailleurs, du réel et de ses fondamentaux : de la quête du bonheur personnel, du tribut individuel donné à la société, à la famille et, de manière plus spécifique aux régions rongées par les guerres, aux structures de fonctionnement de base ravagées, de la prise en otage des populations prises en étau entre l’enclume et le marteau… et les mines.
Même quand les esprits et les villageois, par l’entremise de la prêtresse trouvent un terrain d’entente pour cohabiter et planter la graine du pardon, la main armée de l’humanité revient pour mettre à feu et à sang le lieu qui avait été apaisé. L’esprit commente cet état de fait ainsi :
« Les semences que nous avons mis en terre sont maintenant comme des balles. Mais les balles ne donnent pas de fruits. »
Vu sous cet angle, l’espoir n’a pas d’espace pour s’exprimer, mais Mabata Bata ne nous fige pas sur cette note désespérante et laisse entrevoir un chemin, qui ne s’ouvre pas par magie mais doit être activement emprunté, comme la jeune fille du village, dont était amoureux Azaria, le fait en partant d’un pas décidé vers ce qu’il y a derrière l’arbre de la petite colline, sur le commentaire de l’esprit de son amoureux :
« Les rêves se perdent. Ils s’en vont avec le vent et la guerre. Il ne reste en nous que le silence ; c’est une obscurité que rien ne vient rompre à moins que, sans qu’on ne s’y attende, une porte s’ouvre et nous laisse savourer l’avenir. »
Ce film nous promène sur le fil d’une histoire très simple mais loin d’être simpliste, absolument dramatique mais aucunement larmoyante, splendide visuellement sans être esthétisante.
de Sol de Carvalho; avec Emílio Bila, Wilton Boene, Medianeira Massingue; Mozambique; 2017; 74 minutes.
12. Afrikamera : Africa Lusofonia – du 7 au 11 novembre 2019 ; toutes les informations et le programme complet: www.afrikamera.de
Malik Berkati
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