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Les 100 ans de la UFA : Une histoire allemande

Fondée le 18 décembre 1917, l’histoire de la société de production et de distribution allemande Universum Films AG, de nombreuses fois durant ces 100 ans au bord de la faillite mais ayant toujours trouvé repreneur, représente autant la mémoire du cinéma allemand et international, du moins jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, que le récit du siècle tourmenté d’un pays, allant de l’empereur Guillaume II, la République de Weimar à la Chute du mur de Berlin, la réunification du pays, en passant par le Troisième Reich nazi.
Le cinéma Babylon-Mitte a donc programmé jusqu’à 4 octobre 2017 100 films produits par la UFA pour fêter ce jubilé, programmation qui ne va pas au-delà des films réalisés après la fin de la guerre, lorsque la société est démantelée par les Alliés et divisée entre la DEFA en RDA (qui récupère la majorité de l’infrastructure de production) et la nouvelle UFA en RFA.

Trois lettres liées à l’histoire – pour le meilleur et pour le pire

Tout comme pour les grands studios historiques étasuniens, tout le monde connait, ne serait-ce que de nom, un film ou une star de la UFA de la première moitié du 20è siècle. Cette période est en effet celle des grands réalisateurs tels que Fritz Lang, F.W. Murnau, Josef von Sternberg, Ernst Lubitsch, Douglas Sirk, ou des stars comme Marlene Dietrich, Zarah Leander, Emil Jannings pour n’en citer que quelques-uns.

Metropolis (1925/26) de Fritz Lang
© Deutsche Kinemathek

Ce siècle de cinéma allemand se découpe en quatre périodes, de 1917 à 1933, de 19933 à 1944, de 1944 à 1964 et de 1964 à nos jours. La période d’après-guerre n’est pas très intéressante cinématographiquement – mis à part esthétiquement (nombre de techniciens se sont retrouvés dans la zone russe occupée et ont perpétué par exemple les éclairages si typiques d’ombres et lumières qui mettent en valeur les visages) si l’on considère la DEFA  comme partie prenante à l’histoire globale de la UFA – mais son fonctionnement permet d’aborder sous un autre angle l’histoire complexe et extrêmement intéressante de l’Allemagne occupée par les Alliés ainsi que les rapports de force en jeu pendant cette période de reconstruction du pays. A cet égard, le documentaire La fabrique du film allemand (2017)de Sigrid Faltin visible sur le site d’Arte est très éclairant. La UFA de nos jours n’est plus qu’une société de production parmi d’autres, qui a certes repris les tournages aux studios mythiques de Babelsberg, mais principalement pour des productions télévisuelles tant pour les chaînes privées que publiques, allant de jeux télévisés aux téléfilms. Cette partie principale de productions très rémunératrice permet cependant à la UFA de faire quelques grosses productions pour le cinéma et surtout des téléfilms ou des séries de haute gamme se vendant bien à l’international.

Le cinéma de la République de Weimar

La période la plus innovante et créative de la UFA est certainement sa première période, même si dès sa création, juste avant la défaite allemande de la Première Guerre mondiale, elle est instrumentalisée politiquement à des fins de propagande et de patriotisme. La société, dont la structure est issue de l’agrégation de petites entreprises en réseau autour de l’industrie naissante du cinéma, ne se contente pas de produire des films mais elle possède les studios – avec Babelsberg comme centre névralgique, les salles de cinémas, les réseaux de distribution, ce qui en fait une vraie machine industrielle qui va faire entrer le cinéma allemand et son expressionisme, du muet aux  débuts  du parlant dans l’histoire du 7è art, avec les superproductions de Fritz Lang, Murnau, von Sternberg et Lubitsch qui le disputent à celles d’Hollywood. Durant cette période, une certaine Marlene Dietrich, jeune actrice berlinoise inconnue malgré de nombreuses apparitions dans des films muets, au départ censée donner la réplique dans L’ange Bleu (Der blaue Engel, 1929/30) à la vedette Emil Jannings avant de la lui prendre et devenir l’icône de la première moitié du 20è siècle, apparaît sur les écrans. C’est également avec ce film que le cinéma allemand, qui avait pris du retard sur Hollywood avec le cinéma parlant, achève définitivement sa transition grâce au réalisateur Josef von Sterneberg, revenu d’Hollywood à Babelsberg, introduisant de la musique – avec cette chanson de Friedrich Hollaender  qui deviendra aussi mythique que le film : Ich bin von Kopf bis fuss auf Liebe eingestellt – et cette idée de tourner toutes les scènes directement en allemand et en anglais pour l’international. Cette idée sera reprise pour les productions suivantes de la UFA qui tourneront des films en plusieurs langues. Cette entrée de plain-pied dans le cinéma parlant est marquée en outre par la discrépance entre le jeu de Jannings extrêmement appuyé, principalement dans l’expression du visage avec des mimiques qui rappellent le temps des films muets, et celui moderne de la Dietrich.
Ce film est le jalon de l’entrée du cinéma allemand dans la modernité, et à l’instar des studios hollywoodiens, ceux de Babelsberg vont produire de nombreux films musicaux et vont façonner l’image de ses stars à ses propres fins de stratégiques de marketing.

Cependant la UFA, c’est également une histoire d’échecs commerciaux retentissants tout au long de ces 100 ans, dont deux films de Fritz Lang qui placent deux fois l’entreprise au bord de la faillite, dont le film devenu culte : Metropolis (1925/26).

Parallèlement à ces films à portée internationale, la UFA va régulièrement produire des films dits nationaux avec un nationalisme sous-jacent dans lesquels rétrospectivement on ne peut s’empêcher de voir les prémices des années brunes-noires qui suivront. Un film, d’une incroyable modernité par ailleurs, est à cet égard extrêmement troublant : Wege zu Kraft und Schönheit (1925, Les Chemins de la force et de la beauté) de Wilhelm Prager et Nicholas Kauffman, un « documentaire culturel », genre très prisé par la UFA car à fort potentiel commercial en Allemagne comme à l’international, qui, dans une mise en scène digne des docufictions d’aujourd’hui, entend éduquer les masses populaires sur l’importance de la pratique sportive pour un corps sain dans une société saine. Le succès populaire incroyable de ce film doit beaucoup aux nombreuses scènes naturistes ou peu habillées. Mais en filigrane, un message que l’on lit certes à l’aune de l’histoire mais qui ne laisse pas moins circonspect quand à la fin du film apparaît ce dernier carton : « Le corps idéal : La culture de la Grèce antique – Nouvelle Allemagne ».  Pour l’anecdote, il y a une scène où la future cinéaste, qui sera considérée comme le bras imagé d’Hitler, Leni Riefenstahl, se retrouve comme figurante au sein d’un groupe de danseuses. L’idéologie nationale-socialiste du culte du corps que célébrera la réalisatrice dans son fameux film de propagande de 1936 Olympia (Les Dieux du stade) semble si ce n’est y trouver sa source, du moins y chercher son inspiration, esthétique et technique.

Wege zu Kraft und Schönheit (1925) de Wilhelm Prager & Nicholas Kauffman
© Deutsche Kinemathek

Outil de propagande

Dès l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, la UFA devient le domaine personnel de Goebbels qui va la soumettre et instaurer propagande, censure et esthétique nazie mêlant grandeur architecturale et glorification des corps en mouvement.
Néanmoins, au départ, il n’y a pas besoin de faire pression sur les dirigeants de la UFA pour entamer le travail de nazification des studios. En effet, le comité directeur va dès le 29 mars 1939 renvoyer nombre de collaborateurs Juifs, comme par exemple le directeur général musical des studios, Werner Richard Heymann, et dès avril se font les préparatifs pour le film de propagande Hitlerjunge Quex (1933) dans lequel un père de famille tyrannique et communiste se confronte violemment à son fils qui finit par trouver dans les Jeunesses hitlériennes une nouvelle famille pour lesquelles il est prêt à se sacrifier. Au fur et à mesure de l’emprise des nazis sur la société, les collaborateurs juifs de la UFA partent en exil pour ceux qui le peuvent et l’intervention directe de Goebbels n’est que rarement nécessaire. L’entreprise perd ainsi ses plus grands talents (des techniciens également) qui, pour ceux qui arrivent à se mettre à l’abri à l’étranger, vont faire le bonheur des secteurs cinématographiques des pays dans lesquels ils se sont réfugiés. À partir de 1937, Goebbels prend de plus en plus part aux processus de fabrication des films et finit par avoir son mot à dire dans tous les domaines (scénarios, acteurs, réalisation, etc.).  La période nazie va être très productive avec environ 300 films  – dont une vingtaine reste interdits à la projection ou de manière encadrée – avec à côté des films de propagande, des films populaires de divertissement.  Le dernier film initié par la UFA juste avant la fin de la guerre, Kolberg (1943/44) réalisé par Veit Harlan, sorte de baroud propagandiste dispendieux de la dernière heure du régime, est présenté pour la première fois le 30 janvier 1945, restera 12 semaines à l’affiche et sera le plus grand flop de l’entreprise.

Timothy Grossman , le directeur du cinéma Babylon a ce mot très juste : « La UFA a vu le jour en 1917 comme enfant de la guerre et s’achève exactement là où elle avait débuté – avec le film Kolberg et la chanson de Zarah Leander, Ich weiß, es wird einmal ein Wunder geschehn (1942) [Je sais, qu’un jour il y aura un miracle, N.D.A.]. Pour moi, à partir de la moitié/fin des années 30, l’esthétique de la UFA ne peut pas se défaire de l’odeur du sang et de la pourriture. Notre festival témoigne aussi de la complexité des relations entre l’éthique et l’esthétique. Ce que nous ne voyons pas fait aussi partie du film. » C’est pourquoi, pendant ce mois de projections de 100 films estampillés UFA, certains films de propagande nazie tels que Kolberg, Hitlerjunge Quex ou Stukas (1941) seront présentés avec une introduction scientifique. Et pour clore ce chapitre noir, le cinéma Babylon propose dans son programme le 1er film après-guerre, Die Mörder sind unter uns (Les assassins sont parmi nous, 1946), tourné par la DEFA à Babelsberg et Berlin avec la grande actrice Hildegard Knef dans le rôle d’une survivante de camp de concentration revenant dans la capitale en ruine.

Ce jubilé que propose le cinéma Babylon est une formidable occasion de (re)voir des magnifiques classiques de l’histoire du 7è art avec en perspective les rouages et mécanismes de l’histoire du 20è siècle et de l’utilisation économico-politique d’un média aussi populaire qu’est le cinéma, aspect qui garde toute son actualité, quels que soient les écrans de visionnement.

Malik Berkati

100 Jahre Ufa  100 Filmen – Die größte Ufa-Werkschau: Babylon zeigt mit großer Filmschau das Selbstbild der Deutschen
Jusqu’au 4 octobre. Programme complet:  http://www.babylonberlin.de/100jahreufa100filme.htm

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