L’événement, d’Audrey Diwan, d’après le roman éponyme d’Annie Ernaux, rappelle les affres de l’avortement clandestin – Lion d’or à la Mostra 2021
Audrey Diwan a créé une onde de choc lors de la projection son film à la dernière Mostra de Venise, inspiré du livre éponyme d’Annie Ernaux, sur l’avortement clandestin, le sort des femmes jsuque dans les années septante en France mais le sort de nombre de femmes dans la majeure partie de la planète.
Un avertissement met en garde les sectateurs mais surtout les spectatrices :
des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs …Et surtout des spectatrices !
En effet, L’événement touche viscéralement tout être doté d’une once d’humanité mais ébranle encore plus les femmes et les prend littéralement aux tripes à la vision e certain scènes alors que l’on songe à la régression massive qu’opèrent de nombreux pays quant au droit à l’avortement.
Au début des années soixante, le public découvre Anne Duchesne (Anamaria Vartolomei), la vingtaine, fille de petits commerçants et étudiante qui suit des cours préparatoires à Angoulême pour passer le concours d’entrée à la Faculté des Lettres. À Angoulême, Anne partage sa chambre avec une autre étudiante, les douches sont communes et les cours sont intenses, ponctués par quelques soirées où les jeunes dansent en échangeant un furtif baiser. Comme le confie Anne à un pompier qui l’accoste et la courtise lors d’une soirée dansante, « ici, tout le monde a envie d’aller plus loin mais personne ose. » Mais le temps d’une rencontre dans une librairie avec Maxime (Julien Frison), un étudiant en Lettres de Bordeaux, Anne a osé.
Anne s’aperçoit qu’elle a un peu de retard dans son cycle et part chez ses parents afin de consulter le médecin de famille, Jacques (Eric Verdin) dont le diagnostic est sans équivoque : Anne est enceinte de six semaines mais elle pense avoir peu de temps devant elle, les examens approchent, son ventre s’arrondit et il est impensable pour elle de garder cet enfant. Elle trouve un médecin, le Docteur Ravinsky (Fabrizio Rongione) dans l’annuaire et lui demande de l’aide; il lui prescrit des piqures.
Anne est bien décidée à poursuivre ses études pour devenir enseignante. D’ailleurs, elle est brillante et ses capacités intellectuelles sont remarquées par son professeur, le professeur Bornec (Pio Marmai) qui commence à s’inquiéter quand il constate que les notes de la jeune étudiante dégringolent.
Décidée à avorter afin de finir ses études et d’échapper au destin social de sa famille prolétaire, et surtout à celui de ses comparses d’études qui, à peine tombées enceintes, se sont retrouvées mariées et au foyer, Anne se met à chercher de l’aide au sein de ses amis proches dont Jean (Kacey Mottet-Klein), un tombeur qui sait comment sortir une fille d’une telle situation.
L’histoire d’Anne est celle d’une jeune fille d’à peine vingt ans dans la France de 1963, d’une société qui condamne le désir des femmes, et le sexe en général, une société qui attend d’une femme qui se respecte, d’autant si elle tombe enceinte, qu’elle se marie et qu’elle élève son enfant. La plupart des médecins refusaient de pratiquer l’avortement et la plupart, comme le Docteur Ravinsky, prescrivaient des piqures d’œstrogènes afin de consolider le fœtus dans l’utérus. Au fil de ses tentatives, d’abord légales mais infructueuses, d’obtenir un avortement, le temps passe pour Anne et sa grossesse avance. Il ne lui reste donc plus que l’unique solution de recourir à une avorteuse, Madame Rivière (Anen Mouglalis), une « faiseuse d’anges » comme les appelaient à l’époque les gens, usant d’une métaphore pour cacher l’atroce réalité.
L’histoire d’Anne peut paraître simple à la lunette de lecture contemporaine mais pas dans le contexte des années soixante, bien avant le « Manifeste des 343 salopes » et la « Loi Simone Veil » qui a osé monter à la tribune de l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974, devant un parterre d’hommes, pour demander une loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse. Une évidence pour les femmes contemporaines mais pour la protagoniste de L’événement, une musique d’avenir !
Ainsi, le film d’Audrey Diwan entraîne les spectateurs sur le chemin difficile, dur, abrupt qu’empreinte Anne, contrainte et forcée d’agir contre la loi. Plus que l’histoire d’Anne, ce sont ses gestes souvent nerveux qui nous ébranlent, son regard triste et lointain qui nous imprègne, ses yeux emplis de peur et de honte, l’opprobre rapide et la vindicte collective des autres élèves internes qui l’agressent verbalement et physiquement.
Bien évidemment, Anne n’a que peu d’amies à qui se confier et il est inimaginable qu’elle en parle à sa mère, Gabrielle (Sandrine Bonnaire) qui trime au travail pour que sa fille puisse étudier. Ainsi, les scènes en famille sont heureuses alors que fille et parents rient autour de la table. Retour à Angoulême où les garçons qu’Anne connaît se défilent et fuient devant leurs responsabilités, à commencer par Maxime qui la convie à une escapade au bord de la mer à Bordeaux avec des amis mais en étant persuadé qu’Anne n’est plus enceinte. Et quand elle sollicite Jean, il cherche à profiter de la situation en voulant coucher avec Anne : « De toute façon, tu es déjà enceinte, on ne risque rien ! »
L’événement souligne combien la condition de la femme restait ténue au début des années soixante et combien les projets d’avenir pouvaient vaciller rapidement et s’évanouir à tout moment. Par touches successives, délicates, la cinéaste – qui est aussi journaliste, écrivaine, scénariste, éditrice aux Editions Denoël – peint le quotidien, a priori anodin d’une jeune étudiante. Un brin de mélancolie, qui rappelle le cinéma d’Ozon, habite certaines séquences. L’événement est porté par l’excellente interprétation d’Anamaria Vartolomei – la révélation du film – qui, par son jeu toutes en nuances et en pudeur, nous permet de plonger tant dans le drame personnel que dans la condition de la femme dans la société bien-pensante, à l’esprit obtus et étriqué, et surtout au prompt jugement de la société française au début des années 1960.
Audrey Diwan décrit ici un autre parcours individuel houleux, semé d’embûches, après celui de son premier long métrage, Mais vous êtes fous (2019), dans lequel un couple luttait pour récupérer la garde de leurs filles.
Encore une fois, la Mostra de Venise a donné un signal féministe fort en décernant à l’unanimité le Lion d’or à une réalisatrice, Audrey Diwan, pour L’Evénement, un film poignant, fort, intimiste sur l’avortement, une triste réalité qui semble regagner du terrain à travers le monde où de nombreux pays qui avaient légiféré sur le droit à l’avortement effectue un inquiétant retour en arrière.Devant un constat aussi atterrant qu’alarmant, L’événement semble sortir au bon moment sur les écrans pour un rappel primordial d’une réalité tue et pour un nécessaire éveil des consciences.
À l’affiche en Suisse romande, le 8 décembre 2021.
Firouz E. Pillet
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