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L’Homme de la cave, de Philippe Le Guay, plonge le public dans le passé familial à la lecture du révisionnisme

À Paris, Simon (Jérémie Renier) et Hélène (Bérénice Bejo) décident de vendre une cave dans l’immeuble où ils habitent. Un homme, Jacques Fonzic (François Cluzet) au passé trouble, l’achète et s’y installe sans prévenir. Peu à peu, sa présence va bouleverser la vie du couple. Si le scénario du dernier film de Philippe Le Guay paraît, de prime abord, rocambolesque et peu probable, c’est pourtant d’une situation bien réelle que le cinéaste s’est inspiré : en effet, dans les années 2000, un couple d’amis proches du réalisateur a décidé de vendre leur cave à un homme qui souhaitait entreposer des archives. Ils ne se sont méfiés de rien et ont donné la clef en même temps qu’ils ont encaissé le chèque. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que l’homme s’installerait physiquement dans la cave. Le réalisateur a obtenu du couple l’autorisation de raconter son histoire, à condition de ne pas les exposer. Philippe Le Guay souligne :

« Dans l’histoire vraie, ils étaient juifs tous les deux, des membres de leurs familles avaient été déportés. N’étant pas juif moi-même, j’ai senti la nécessité de créer un couple mixte. Ainsi le personnage de Bérénice Béjo n’est pas juif mais elle semble encore plus affectée que son mari. Elle est touchée viscéralement, elle est en proie à des visions… La haine l’atteint de manière frontale. »

— François Cluzet et Bérénice Bejo – L’Homme de la cave
Image courtoisie Agora Films

Le metteur en scène a ainsi opéré deux changements majeurs : le premier a été sur le personnage de Fonzic, qui n’est pas ouvertement un néonazi mais, au fil du récit, les spectateurs découvrent que ce professeur d’histoire, a été radié de l’Éducation nationale pour négationnisme. Le deuxième concerne l’identité du couple dont les deux familles étaient juives et dont des membres de leurs familles avaient été déportés. Philippe Le Guay a judicieusement créé un couple mixte, ce qui permet au personnage de l’épouse de se questionner sur les agissements de Jacques Fonzic et de se pencher avec méticulosité sur le passé de la famille de Simon, sur les membres de sa famille qui ont été emmenés à Drancy puis déportés, sur cet appartement dont elle découvre qu’il était habité par l’oncle de Simon, Samuel, qui a dû se réfugier dans la fameuse cave après avoir été dénoncé par des voisins. Hélène Sandberg semble encore plus affectée que son mari par la face obscure de leur nouveau voisin qui l’incommode de plus en plus et finit par l’apeurer. Progressivement, au fil de ses recherches et des découvertes Hélène est touchée physiquement et viscéralement par la présence inquiétante de Fonzic, de manière encore plus marquée le jour où le nouveau locataire de la cave débarque dans le centre médical où elle travaille pour exiger que ce soit elle qui le pique pour une prise de sang. Hélène se met à avoir des visions et ses angoisses commencent à atteindre la sérénité du couple.
Pour le reste du scénario, Philipe Le Guay se tient au récit de ses amis et crée, au fil des jours et des manifestations de plus en plus dérangeantes de Fonzic, une atmosphère de plus en plus anxiogène qui happe l’attention des spectateurs à leur corps défendant.

Cette vente, a priori banale, se transforme en véritable cauchemar et la famille Sandberg, apprécié de tous les copropriétaires, va devoir se justifier auprès de leurs voisins, de la gardienne, du concierge et homme à tout-faire. L’acquéreur de la cave, courtois, discret, serviable, mais aussi insidieux, pervers, lâche, sait se rendre serviable ; il arrose les plantes dans la cour de l’immeuble, il sait s’y prendre et les avis sur lui dans l’immeuble s’en trouvent partagés. Pourtant, pour les Sandberg, il se révèle progressivement un néonazi pur et dur, un des piliers du négationnisme en France, actif sur les réseaux sociaux, y tenant des propos anti-sémites, haineux et mettant en doute la Shoah. Simon rassure sa femme : ils ne vont pas se laisser faire et vont annuler la vente. Simon consulte une avocate mais son espoir de résiliation est rapidement éteint. Sans le savoir, ils avaient scellé la vente car, dans le droit français, tant qu’il y a accord sur la chose et sur le prix, la vente est conclue même si le passage devant le notaire pour signer l’acte de vente n’a pas encore été fait.

Philippe Le Guay e exploité cette incohérence juridique du droit français qui lui a permis de donner une tournure inattendue au récit, explorant les conséquences sur le couple qui se croit libéré de ce voisin bien encombrant en tentant de casser la vente, engageant plusieurs avocats. Avec L’Homme de la cave, François Cluzet offre une interprétation initialement tout en nuances, laissant apparaître Fonzic comme une victime du système et un incompris pétri de bonnes intentions qui cherche seulement à poser des questions « judicieuses mais qui dérangent » comme il ne cesse de répéter. L’acteur, qui apparaît ici avec une masse de cheveux gris très longs, un regard très inquiétant, incarne une présence trouble. Il avait déjà été dirigé par Philippe Le Guay dans Normadie nue (2018), et l’acteur, habitué aux personnages sympathiques, souvent enjoué dans les films de son ami Guillaume Canet par exemple, retrouve dans L’Homme de la cave un registre dans lequel il a moins joué; il réussit à créer le mystère autour du personnage de Fonzic qui ne jouera ses dernières cartes qu’à la fin du film, maintenant par ce biais l’intensité du suspens. Le comédien crée un personnage ambigu aux réflexions équivoques, étrange et angoissant, excellent dans un registre à contre-emploi, à l’image du rôle qu’il avait endossé en incarnant un homme particulièrement inquiétant dans L’Enfer, de Claude Chabrol, en 1994.

S’il existe de nombreux films sur le nazisme, sur l’occupation, sur les arrestations et les déportations – on songe au film Elle s’appelait Sarah, de Gilles Paquet-Brenner (2010) ou La vita è bella, de Roberto Benigni (1997), entre autres, les films sur le négationnisme sont plus rares, peut-être à cause du sujet qui peut susciter l’ire des nombreux mouvements néonazis de plus en plus virulents actuellement. En mettant en scène L’Homme de la cave, Philippe Le Guay avait en tête un film anglais, Le Procès du siècle, qui mettait en scène un militant négationniste anglais, hautain, arrogant, ignoble. Le cinéaste a pris le parti de faire de Jacques Fonzic un misérable, démuni, pathétique et pitoyable, qui n’a nulle part où aller et qui arrange sa réalité en l’alimentant de petits mensonges. L’Homme de la cave rappelle une triste réalité : pendant l’occupation, pour échapper aux rafles, de nombreux juifs se cachaient dans les caves comme le relatait Le dernier métro de François Truffaut.

Magnifiquement interprété, le film présente des éléments qui ont bel et bien existé et qui crée l’atmosphère si particulière et si singulière, emplie d’inquiétude croissante, mis en valeur par le cadre, à la fois rigoureux et mobile, choisi par le directeur de la photographie, Guillaume Deffontaines et accroît l’effet du film de Philippe Le Guay qui questionne et poursuit les spectateurs bien après la projection. Ainsi, la cave devient un protagoniste à part entière, se retrouvant au centre du film de manière angoissante, avec une chaudière assimilée à une bête tapie qui pourrait sortir à tout moment de l’obscurité, faisant déambuler la caméra qui suit Fonzic dans un labyrinthe de couloirs qui mène à sa cave à travers les canalisations qui suintent. Créant avec brio un imaginaire autour de la cave, qui évoque les œuvres d’Edgar Allan Poe, de Franz Kafka ou de Fritz Lang et réveille dans les souvenirs des spectateurs les angoisses et les peurs viscérales vécues dans l’enfance.

À l’affiche sur les écrans romands: 13 octobre 2021

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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