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Living Water de Pavel Borecký donne un aperçu des guerres pour « l’or bleu » qui ne manqueront pas de se multiplier dans les années à venir

Il ne faut pas chercher loin pour se rendre compte à quel point l’enjeu de l’eau est comme un baril de poudre sur lequel les relations internationales sont assises avec les tensions qui se multiplient dans le monde, entre autres l’Éthiopie, le Soudant et l’Égypte, Le Mexique et les États-Unis, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan ou la Chine et l’Inde. L’Europe n’est pas épargnée par le stress hydrique, avec par exemple Rome et Berlin qui, selon le World Resources Institute, épuisent leurs nappes phréatiques.

Présenté en compétition nationale aux Visions du Réel 2021, Living Water est également au festival CPH:DOX au Danemark. Il nous entraîne dans une sorte de démonstration idéale-typique de l’inconscience écologique, du non-respect des populations locales, de l’exploitation sans vergogne de ressources millénaires à des seuls fins de spéculation et de rentabilité immédiate.

Living Water de Pavel Borecký
Image courtoisie Pavel Borecký et Veronika Janatková

Nous sommes en Jordanie, dans une région désertique, magnifique donc à filmer avec ses dégradés de rouges et ocres, dans une séquence d’ouverture atmosphérique qui se coupe sur le titre du film suivit d’images d’archives et d’un Bédouin qui raconte la genèse d’un projet pilote sur l’eau dans la région. Le décor et le sujet sont plantés. Été 2018, devant un désert de montagnes et de sable, un berger explique comment les bédouins à l’époque de son père construisaient des points d’eau après la pluie. À présent, il y a peu d’eau après les pluies saisonnières et même s’il a toujours un troupeau, il est obligé de travailler avec des touristes pour gagner sa vie. Autre réalité, le village, Wadi Rum, qui est pourtant sur une nappe phréatique qui traverse toute la région se retrouve à rationner l’eau : toutes les deux heures un employé doit fermer une borne d’eau pour en ouvrir une autre pour un autre quartier du village car il y a un manque de pression pour fournir tout le village.

La proposition de Pavel Borecký n’est pas celle d’un documentaire-reportage mais celle d’un film dont la conception cinématographique suggestive sert d’écrin à un propos qui au fil de son déroulé devient limpide comme l’eau claire détournée. L’esthétisme visuel et sonore provoque le contraste entre ce que l’on voit, qui est très beau avec ces gouttes d’eau qui perlent, le bruit du goutte-à-goutte qui coule dans cet environnement et ce que l’on sait être aride et exploité. Le travail sur la lumière et les couleurs est ciselé, les plantations d’un vert vivace au milieu de la chaleur de l’ocre, tout comme les prises de vue la nuit et les halots jaunes des lumières du village ou des phares de voitures qui enveloppent d’un voile flou l’obscurité. Film organique qui suspend le regard aux éléments – l’eau, le sable, les plantes, la boue, les outils utilisés, les machines, les bouches d’eau, les lumières, les feux de bois, etc. –plutôt que sur les individus, même s’ils sont bien présents, à travers les Bédouins, mais aussi les scientifiques qui, dans des incises plus conventionnelles du documentaire, prennent la parole pour expliquer les tenants et aboutissants de cette catastrophe humaine et écologique annoncée.

Living Water de Pavel Borecký
Image courtoisie Pavel Borecký et Veronika Janatková

La Dr. Muna explique la situation hydrologique dans la région, avec une modélisation 3 D qui remet  le pays dans le contexte géopolitique avec l’Arabie saoudite qui utilise le même réservoir hydrologique fossile qui existe depuis des centaines de milliers d’années, qui ne se renouvèle pas et s’épuise, épuisant par la même l’activité humaine dans la région en l’espace d’une génération. Ce que nous raconte Living Water dans cette perspective est vertigineux quand au ratio temps naturel/activité humaine.

Les pièces du puzzle se mettent petit à petit en place : Rum Farms à 35 km de Wadi Rum est un vaste projet qui a débuté en 1982 avec quatre fermes irriguées par le projet Disi et assurer une certaine sécurité alimentaire à la Jordanie et s’est déployé depuis avec de nombreux investissements. Le projet est maintenant en déshérence, stoppé après avoir extrait 3 milliards de mètres cubes d’eau. Les investisseurs saoudiens pensaient que la nappe allait durer un millénaire. Depuis, comme partout où ce genre d’implantations se font dans se préoccuper des populations locales, un millier de familles ont  quitté la région. De toute façon l’eau du projet était réservée aux grandes compagnies qui venaient avec leurs travailleurs et les bédouins n’avaient pas le droit d’utiliser ces installations pour leurs propres plantations. Les investisseurs étaient présents pour faire énorme profit peu importe si cela s’arrêtait rapidement. Les Bédouins sont amers d’avoir spoliés d’un bien non-renouvelable qui ne servait que pour les besoins d’Amman, Aqaba et les grandes compagnies – ils sont maintenant laissé-pour-compte avec aucune compensation ou aide.
Professeur en hydrologie interroge : pourquoi utiliser de l’eau potable pour irriguer à moins que l’on vive dans un endroit qui a de l’excédent d’eau? La priorité est d’utiliser cette eau pour les besoins en eau potable…

Living Water de Pavel Borecký
Image courtoisie Pavel Borecký et Veronika Janatková

Le plus tragique est que cette sur-exploitation suivie de l’abandon des lieux n’empêchent pas les investisseurs avides de planter leur pouvoir économique et politique un peu plus loin, avec pour effet probable à terme, un nouveau saccage, au lieu d’aider à la préparation matérielle et infrastructurelle au changement climatique qui donne à l’hiver 2018 des avertissements difficiles pourtant à ignorer avec les inondations de Petra et Aqaba qui ont provoqué des morts et d’énormes destructions. Et pourtant, justement à Marsa Zayed, adossée aux montagnes d’Aqaba, un projet de ville ultramoderne est présenté sous forme de réalité virtuelle. Sur le modèle des villes émiraties, Marsa Zayed est pensée pour être le hub technologique de la région de la mer Rouge, avec forêt une de buildings, d’infinies et larges avenues, etc. Pour ce faire, les promoteurs sont obligés d’implanter une immense usine de désalinisation.

À ce rythme-là, en terme d’eau, il ne restera bientôt plus que les yeux pour pleurer…

de Pavel Borecký; Suisse, République tchèque, Écosse; 2020.

Malik Berkati

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