Locarno 2022 : Gigi la legge, d’Alessandro Comodin, qui a remporté le Prix spécial du jury, fait la part aux petites gens du quotidien
En pleine nuit, la caméra suit Gigi dans son jardin foisonnant et à la végétation luxuriante qu’ilchérit par-dessus tout. Son voisin, que l’on entend sans jamais le voir, au ton belliqueux et vindicatif, veut obtenir justice contre cette forêt sauvage qui envahit son territoire ; Gigi tente de calmer l’ire de son voisin et de négocier à l’amiable.
Alessandro Comodin recourt au hors champ, ce qui lui permet de mettre astucieusement en scène cet échange insolite entre Gigi et son voisin, exprimant la paranoïa qui imprègne ce village. En fait, Gigi est carabiniere et passe ses journées à patrouiller, ou plutôt à se promener dans les rues étroites de San Michele al Tagliamento, un village du nord-est de l’Italie, dans la luminosité si solaire du Frioul. Certes, il y a des incidents, voire des accidents : une personne est retrouvée morte à côté des voies ferrées, un étrange individu erre sinistrement sur les chemins de campagne. Cela s’apparente au début d’un film noir, cela pourrait déboucher sur un western contemporain, mais ces diverses pistes ne sont que suggérées par le réalisateur. Et pourquoi pas le début d’une romance… Quand une jeune novice est engagée à la centrale téléphonique du commissariat, Gigi tombe immédiatement sous le charme de sa voix et se met à flirter sans trop de fioritures, à la façon d’Aldo Maccione, suscitant l’amusement des spectateurs.
Gigi la legge, le nouveau film d’Alessandro Comodin, qui revient cette année en compétition officielle avec son troisième long métrage, produit par Okta Film, dépeint avec délicatesse et poésie les petites gens du quotidien, ces personnes dont la présence routinière passent presque inaperçue. Alessandro Comodin les met en relief, et par là-même en valeur, soulignant leur humanité camouflée derrière une façade goguenarde et facétieuse. Se muant en conteur de héros fragiles et oubliés, le cinéaste réussi la prouesse de captiver les spectateurs, faisant évoluer par touches subtiles, presque imperceptibles, le personnage principal en mettant à nu ses faiblesses et sa vulnérabilité. Sans démonstration, tout en nuances, mais avec une honnêteté déconcertante, Alessandro Comodin renoue avec son pays natal en travaillant avec un personnage familier, un modeste policier de province, romantique, attachant et solitaire, mis à l’index par une société qui semble le rejeter pour ses savoureuses excentricités.
Gigi la legge mêle avec harmonie les genres cinématographiques qui ont toujours fait partie du cinéma de la péninsule. Ici, invitant les spectateurs dans l’habitat de la voiture de patrouille, en première ligne d’observation des méandres de ce policier d’âge moyen, qui aime chanter et fantasmer en poursuivant ses ennemis potentiels, Alessandro Comodin dépeint la conscience d’être seul face au destin. Gigi nous entraîne sur les rivages de Lignane au son des cigales qui chantent dans les pinèdes. Reflétant sa vision du monde par son regard différent qui le démarque et le différencie, la destinée de Gigi semble tracée d’avance : incompris des habitants, à commencer par son voisin, et de ses pairs, résolument seul, Gigi se laisse entraîner par la voix de sa nouvelle collègue et fantasme sur la possibilité d’une rencontre. Et quand cette rencontre a lieu, Alessandro Comodin laisse la palette des possibles ouverte.
Pour rappel, Alessandro Comodin a remporté le Pardo d’oro dans la section Cineasti del presente en 2011 avec son film L’estate di Giacomo.
Firouz E. Pillet, Locarno
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