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Locarno 2023 – Cineasti del presente: Todos los incendios (All the Fires), un film d’apprentissage insolite qui joue avec le feu. Rencontre avec Mauricio Calderón Rico

Le cinéaste mexicain Mauricio Calderón Rico l’indique clairement dès le titre de son premier long-métrage : il n’existe pas un seul type de feu, ils sont multiples. C’est ce qui rend le feu à la fois fascinant, salvateur et destructeur. Le feu, c’est la vie et la destruction, la lumière et l’ombre (indirectement puisque comme il est dit dans un des dialogues, le feu n’en a pas), la passion comme, à faible intensité, un moyen de veille. Pour Bruno (Sebástian Rojano), qui a perdu son père et a de la difficulté à accepter que sa mère entame une nouvelle relation, le feu est un moyen d’expression, un cri intérieur qui cherche son écho au monde.

— Sebástian Rojano – Todos los incendios (All the Fires)
Image courtoisie Festival du film de Locarno

Mauricio Calderón Rico construit habillement un récit universaliste ancré dans une réalité locale : le chaos de l’adolescence, la confusion des sentiments et des émotions, alliés au deuil, à l’éveil sexuel, à la peur de l’abandon, aux questions qui n’ont pas (encore) de réponses. Le film se situe en 2008, les moyens techniques qui occupent la jeunesse existaient déjà sans pour autant les vampiriser. Bruno filme, avec son meilleur ami Ian, qui s’est déjà identifié comme homosexuel, les menus feux boutés qui petit à petit deviennent plus grands. Il téléverse ses vidéos sur YouTube et connaît un certain succès sur ce réseau sur lequel il rencontre Daniela qui vit dans une autre ville. Les deux jeunes entament une relation à distance qui va prendre un tournant inattendu lorsque Bruno va se rendre chez Daniela (Natalia Quiróz).

All the Fires est un récit initiatique nerveux qui finit par prendre un cours plus calme à mesure que Bruno avance sur son chemin de vie où il se déleste et brûle ses fardeaux d’adolescent. Rencontre.

Dans le titre, vous définissez déjà les jalons du film qui n’a pas pour matrice LE feu, mais ses différentes acceptations qui peuvent prendre de nombreuses formes, toutes essentielles à la vie, qui ici permettent à Bruno d’exprimer et de travailler ses émotions. D’où vient cette idée ?

L’idée du feu dans le film a été le premier élément écrit. Avant même l’éveil sexuel du protagoniste qui vient en second. D’ailleurs cette histoire de feu va crescendo : il commence par mettre le feu à de petites choses, puis à des éléments de plus en plus grands, jusqu’à causer des dommages importants à des biens, le feu ultime est celui qu’il allume sur lui-même.

Cela correspond à sa progression sur son chemin de vie…

Oui. Et le dernier feu le purifie.

Mais d’où vient cette idée du feu ?

Parce que j’ai toujours aimé le feu, je suis fasciné par son apparence, tout en ayant peur de lui. Cela était peut-être pour me confronter à cette peur que je voulais créer une histoire avec cet élément.  Je voulais aussi parler de choses par lesquelles je suis passé, même si cette histoire n’est pas autobiographique. Mais elle est née d’anecdotes que j’ai moi-même vécues ou que des ami∙es ont vécues.

— Mauricio Calderón Rico
Image courtoisie Festival du film de Locarno

All the Fires est un film d’arrivée à l’âge adulte très délicatement écrit qui mêle de nombreux sujets. L’un d’eux est l’éveil sexuel : pour la plupart des jeunes du monde, la période de découverte de la sexualité est difficile, mais bien sûr, lorsque cela touche l’homosexualité, c’est encore plus compliqué. À côté de cet aspect universel, il y a une particularité locale qui est mise en avant par Ian, l’ami de Bruno, qui veut rejoindre sa mère à Los Angeles car « là-bas on peut être qui l’on veut », ou à travers Dani qui dit que son père préfère qu’elle soit « une pute plutôt qu’une lesbienne »…

Cette phrase dans le film est une phrase qu’une de mes amies a entendu de son père ! Pour moi, c’est la chose la plus dure du film. Il y a un mouvement dans la communauté LGBTQ+ qui dit qu’il ne faut pas qu’ils et elles soient montré∙es de cette manière, que l’on devrait mettre en avant d’autres histoires que celles qui sont de l’ordre du coming-out, mais je pense que nous devons normaliser ces thématiques. Dans le film, on voit que l’environnement dans lequel grandit Bruno est très normatif : c’est dans ce genre d’environnement dans lequel j’ai aussi grandi. Je n’avais que des amis hommes, hétérosexuels, je devais jouer au football, etc. Je n’avais aucune référence gay. J’ai dû trouver par moi-même comment regarder les choses en dehors de ce modèle. Je voulais que les jeunes d’aujourd’hui puissent avoir la possibilité de se référer à un autre modèle s’ils en éprouvaient le besoin.

À quel point est-ce difficile d’appartenir à la communauté LGBTQ+ au Mexique ?

C’est une des raisons pour laquelle j’ai situé le film en 2008, à l’époque, c’était plus compliqué, la situation a un peu changé, les gens se sentent plus libres – je parle bien sûr de Mexico City, le reste du pays est toujours extrêmement conservateur. Le Mexique est le pays où il y a le plus de crimes homophobes et de féminicides en Amérique du Sud, ce pays est très violent, mais Mexico City est comme une bulle.

Les traits des adultes ne sont pas caricaturaux, ils ont leurs propres caractéristiques d’adultes face à des adolescent∙es, ils représentent un certain point de vue sociétal, je pense surtout au père de Danelia, mais vous les avez écrits avec subtilité. Sont-ils basés sur des gens que vous connaissez ?

Le personnage de la mère est basé sur la mienne et celui du père de Daniela est la somme descriptive d’un homme commun mexicain ; j’ai des amis, des oncles qui sont comme lui. Car les hommes mexicains sont encore très conservateurs, ils montrent leur machisme, roulent des mécaniques, se doivent de jouer au foot et au bonhomme, c’est comme un héritage.

Vous utilisez un format 4:3, est-ce pour coller au format des vidéos de Bruno ?

Oui, c’est la raison principale. J’en ai parlé avec mon caméraman, Miguel Escudero, un directeur de la photographie extrêmement talentueux, et dans nos discussions sur le format du film, je lui ai demandé de me citer une bonne raison de faire le film dans ce format. Il m’a répondu : car cela rend bien (rires). Mais pour vous donner une raison objective, nous voulions former un tout cohérent entre les images du film et les images des vidéos.

— Todos los incendios (All the Fires) de Mauricio Calderón Rico
Image courtoisie Festival du film de Locarno

La caméra est tantôt très énergique, en immersion, et tantôt plus calme, stationnaire, comment avez-vous conçu ces différentes scènes avec le directeur de la photographie ?

Avec Miguel, nous avons beaucoup préparé en amont sur la base du scénario, plusieurs mois avant le tournage, nous avons travaillé chaque scène qui avait son propre univers.

Les jeunes acteurs∙rices sont excellents, ils et elles jouent de manière très juste. Comment les avez-vous choisi∙es ?

La plupart du travail de pré-production s’est déroulé pendant la pandémie. J’avais une directrice de casting, Rocío Belmont, spécialisée dans les jeunes acteurs∙rices, elle m’a envoyé de nombreuses vidéos d’adolescent∙es. J’en ai regardé un très grand nombre, et pour chaque personnage, nous avons choisi 4-5 finalistes que nous avons rassemblé∙es dans nos bureaux. Nous avons pris des photos, fait des ateliers durant lesquels nous avons recréé des scènes du film. Les ados que vous voyez dans le film ont été choisis parmi leur groupe de « finalistes ». Après, nous avons fait deux semaines de répétitions, sans caméra, avec celles et ceux qui étaient pris pour chaque rôle.

Ce sont leurs premiers rôles ?

Danelia, c’est son second film, mais les autres jeunes sont de nouveaux venus.

L’alchimie entre les acteurs et leurs personnages fonctionne parfaitement…

Oui, les acteurs et actrices sont resté∙es de bon ami∙es depuis le tournage.

De Mauricio Calderón Rico; avec Sebástian Rojano, Ximena Ayala, Ari López, Natalia Quiróz, Antonio Fortier, Héctor Illanes; Mexique; 2023; 96 minutes.

Malik Berkati, Locarno

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Malik Berkati

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