Locarno 2023 : le cinéaste de la nature, Luc Jacquet, a présenté Voyage au pôle Sud sur la Piazza Grande après avoir reçu le Locarno Kids Award pour son travail

Le Festival de Locarno a choisi le premier lauréat du Locarno Kids Award la Mobiliare de sa 76ème édition : Luc Jacquet a reçu, en cette soirée du 7 août, ce prix qui récompense les personnalités qui ont su initier le jeune public au cinéma. L’auteur de La Marche de l’empereur (2005) avait reçu l’Oscar du meilleur film documentaire en 2006, récompense qui avait amené le documentariste français à connaître une notoriété internationale. Sa venue dans la ville tessinoise était donc très attendue tant par public que par la presse, et le Festival de Locarno a programmé au Spazio Cinema une conversation avec le cinéaste dont plusieurs films sont à voir durant cette 76ème édition.

Luc Jacquet avait vingt-trois ans quand il est parti pour la première fois en Antarctique en 1990 et depuis cette première rencontre, ce continent le fascine et exerce sur lui une attraction irrépressible. Au fil de ses voyages vers ce septième continent, le cinéaste a fait de terribles constats sur les changements provoqués par l’humanité et nous en fait part dès l’ouverture de son film qu’il a choisi de tourner en noir et blanc.

Livrant ses pensées et ses constats, Luc Jacquet mentionne « qu’il y a quatre portes d’entrée pour accéder à l’Antarctique » mais que celle qu’il préfère est par la Patagonie, via le Parc national Torres del Paine qui tient son nom des trois formations granitiques emblématiques du massif du Paine : les fameuses Torres (Tours) del Paine. Luc Jacquet nous fait découvrir la richesse de la faune et de la flore de ces écosystèmes spécifiques de l’extrémité australe de l’Argentine. Alors que sa caméra révèle une nature éprouvée par le climat, il mentionne combien chaque visite l’envoûte et le subjugue en soulignant que ces quelques milliers de kilomètres qui séparent la Patagonie du pôle Sud représentent un voyage fascinant et hypnotique pour tous les explorateurs qui partent du Cap Horn si le mauvais temps légendaire du Détroit de Magellan le permet.

Luc Jacquet nous transmet son admiration pour les Cap-Horniers qui affrontent les éléments déchaînés de la nature. Il feuillette ses notes, a beaucoup lu les récits des explorateurs qui l’ont précédé et rappelle combien d’entre eux y ont laissé leur vie. Le documentariste avait choisi initialement le titre Continent magnétique, titre qui figure encore dans le générique de fin, mais le film s’intitule désormais Voyage au pôle Sud: Luc Jacquet parle d’une fascination, d’un magnétisme et rappelle que certains explorateurs parlent même d’une addiction, « la morsure antarctique » ou « Antartic bite ». Luc Jacquet filme des stations d’observation abandonnée, des photographies de missions et s’interroge sur le besoin des êtres humains à planter le drapeau de leur pays pour marquer ce territoire resté si longtemps immaculé.

Le réalisateur embarque sur un imposant brise-glace et doit encore patienter plusieurs semaines avant de retrouver ce continent si éloigné « qui permet de faire le tour du monde en quelques pas ». On le voit évoluer, une ombre noire minuscule sur cette immensité blanche qui s’étend à perte de vue. Le fait que le documentaire soit en noir et blanc offre une expérience visuelle saisissante qu’il faut impérativement voir pour l’apprécier à sa juste valeur et que les mots ne pourront guère décrire.

Mais depuis trente-trois ans, l’Antarctique souffre des actes commis par les humains et de leurs effets irrémédiables. Fort de cet inquiétant constat, Luc Jacquet rend un ultime hommage, très poétique, à un continent en voie de disparition dont il constate les glaces disparues. Malgré ses maux, l’Antarctique abrite encore la vie et le documentariste, si rompu à l’exercice de raconter les mondes animal et végétal, retrouve ici des amis de longue date comme un groupe de manchots « bavards qui semblent des écoliers en course d’école », les manchots empereurs qu’il est si heureux de revoir après tant d’années et « qui ont toujours eu la décence de ne pas lui faire remarquer qu’il était si étrange ». Son dernier voyage permet à Luc Jacquet de faire une rencontre insoupçonnée, tant désirée, jamais réalisée jusqu’alors : un bébé léopard des mers.

En s’aventurant sur les paysages gelés de l’Antarctique ou en s’enfonçant au cœur de forêts voisines comme lointaines, Luc Jacquet a toujours su l’importance de la portée de la mission qu’il s’est donnée, permettant à toutes et à tous d’accéder, par le biais du cinéma, à des espaces que peu de personnes parcourent.

Dès son enfance, Luc Jacquet passait son temps à arpenter les montagnes du Jura, au climat rude, d’abord avec sa famille qui lui transmet sa passion pour la nature, puis seul, par goût de l’aventure et de la découverte. À cette occasion, il apprend comment se fondre, en toute symbiose et avec un immense respect, dans la nature pour observer le monde secret des animaux et des plantes au fil des saisons. Devenu biologiste, le cinéaste français se consacre, à travers ses films, à développer une sensibilisation collective, bienvenue et plus que jamais nécessaire, en faveur de la protection de la planète et de ses habitants.

Son dernier voyage, empli de souvenirs personnels et d’émotions, distille quiétude, poésie, voire une certaine ataraxie qui apaise l’âme et le regard, mais le récit que livre Luc Jacquet, fruit de ses réflexions sur ce continent magnétique, alerte sur sa disparition.

La Terra incognita, longtemps fantasmatique, doit amèrement regretter l’arrivée des baleiniers russes, français, norvégiens… Voyage au pôle Sud lui rend un magnifique hommage, féerique et poignant, qui a fait vibrer le public de la Piazza Grande.

Firouz E. Pillet, Locarno

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