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Lucky, présenté à Locarno, marque les débuts en tant que réalisateur de John Carroll Lynch

Véritable lettre d’amour et hommage mélancolique d’un acteur à une figure emblématique et remarquable du cinéma, le film de John Carroll Lynch, Lucky, a été présenté à la presse ce vendredi 4 août, s’avérant le premier film du concours international à susciter des applaudissements nourris à l’issue de la projection. Harry Dean Stanton, âgé de nonante-et-un ans, qui incarne ici Lucky, donne une performance d’acteur exceptionnelle.

Le film s’ouvre sur Lucky, malicieusement incarné par Harry Dean Stanton, en caleçon, pratiquant quelques exercices de yoga matinaux avant de se préparer à sortir, coiffé de son chapeau de cow-boy et chaussé de ses Santiags. Dès la séquence d’ouverture, des éclats de rire fusent. Si le film de John Carroll Lynch suit les habitudes de Lucky – son café au bar du coin où il fait ses mots croisés, ses retrouvailles avec une équipe d’ami, ses achats dans l’épicerie tenue par une Mexicaine – la réussite de ce film réside dans l’harmonieux mélange entre l’humour et des sujets plus tristes comme la perte d’un animal de compagnie ou la mort.

— Harry Dean Stanton – Lucky
© Locarno Festival

En se réveillant seul dans l’appartement d’une chambre où il habite vraisemblablement depuis quelques décennies, Lucky commence tous les matins avec une routine d’exercices qui amènerait la plupart des personnes hommes de la moitié de son âge à gémir et à se plaindre. Après cela, il s’allume dans sa première cigarette du jour. Il en allumera bien d’autres tout au long de son chemin. Entre les bouffées de nicotine, il se promène dans sa ville aride avant de s’arrêter pour partager quelques plaisanteries avec le personnel du restaurant local et de rentrer chez lui pour regarder ses jeux télévisés ou des vidéos de Liberace au piano, admirant sa virtuosité. Vétéran de la guerre contre les Japonais, Lucky est surnommé ainsi puisqu’il y a été envoyé comme cuistot. Évidemment, à nonante ans passés, la mort est une pensée inévitable, mais “pas une pensée âpre, amère, tout au contraire, douce.” comme a précisé le réalisateur lors de la conférence de presse.

Suivant Lucky déambulant dans les déserts poussiéreux qu’il a traversés dans le Paris, Texas de 1984, John Carroll Lynch propose à la légende l’un des meilleurs rôles qu’il ait eus depuis le film de Wim Wenders. Par bien des aspects, tant formels que narratifs, le film Lucky rappelle The straight story, de David Lynch, dans un hommage non dissimulé à son travail. Commençant comme une grande comédie avant de s’épanouir dans une méditation singulière sur la mort et toutes les choses que nous laisserons après notre départ ultime (une transition qui s’élabore lorsque l’un des anciens amis de Stanton se présente et lui vole la vedette). Un des amis de Lucky s’affole de la disparition de son animal de compagnie, Roosevelt, une tortue terrestre. Lors de la conférence de presse, l’un des deux scénariste, Logan Sparks, très bavard, a donné moult explications sur ce protagoniste inattendu : “”Nous avons tourné dans un ranch. Un jour ma femme, qui est actrice, m’a dit qu’elle avait vu un panneau qui indiquait :”Perdu tortue”. On s’est demandé comment on pouvait perdre une tortue vu la lenteur à laquelle elle se déplace. C’est devenu une plaisanterie récurrente entre nous. Avec Drago, on a décidé alors de l’insérer dans le scénario du film de John. Mais pour la scène finale, quand elle traverse le désert, on a feinté pour la faire avancer. On a mis du jus de fraises entre les cactus afin qu’elle se déplace.” (rires)

Co-écrit par Drago Sumonja et Logan Sparks (qui a travaillé comme assistant de Stanton sur Big Love), Lucky présente ce personnage avec une telle clarté et un tel soin dans les détails, même anodins, qu’il nous donne le sentiment d’avoir personnellement connu ce protagoniste à la fois bougon, insolite et attachant. Lucky porte bien son nom : dans une scène truculente avec son médecin, qui ausculte Lucky après une chute, on comprend que la mort ne veut pas de lui malgré toutes les cigarettes qu’il fume. Son médecin de lui recommander :”N’arrête pas de fumer à ton âge ! Cela ne pourrait être que pire.” Ce ton décalé, teinté d’humour noir, imprègne tout le film pour le bonheur des spectateurs.

— Drago Sumonja et Logan Sparks
© Firouz Pillet

Lucky n’est pas un bougre, juste un vieux loup solitaire, une grande gueule quand un agent d’assurance-vie (Ron Livingston) essaie de conclure une contrat avec lui, Lucky se relève: «Il n’y a qu’une chose pire que le silence gênant – de petites conversations. Sors dehors pour te battre si tu es un homme ! Je te donne cinq minutes.».

Harry Dean Stanton est bien entouré : à ses côtés évoluent une joyeuse ribambelle d’acteurs : Mithun Chakraborty, Sanjay Dutt, Imran Khan, Shruti Hassan, Danny Denzongpa, Ravi Kishan, Chitrashi Rawar, Rati Agnihotri. John Caroll Lynch précise : “On a demandé à des proches et des amis si ils voulaient jouer dans mon film. Tous ont accepté, même un petit rôle, tant ils étaient heureux de pouvoir jouer aux côtés d’Harry Dean Stanton.”

Avec amusement, John Caroll Lynch répond à un journaliste italien qui lui demande si la présence d’un si grand acteur sur le tournage l’a angoissé : “Non, il était une référence. Mais, parfois, il était si calme que je devais lui dire : “Il faut que tu te réveilles, tu dois jouer.” (rires)

— Harry Dean Stanton – Lucky
© Locarno Festival

Un autre journaliste questionne :”Et pourquoi avoir prénommer cette tortue “Président Roosevelt” ? C’est Logan Parks qui prend la parole pour répondre à cette question : «Aux États-Unis, nous avons eu deux présidents nommés Roosevelt : Theodore et Franklin. C’est le deuxième qui est considéré par tous les Américains comme celui qui a sauvé la nation des Nazis. Les tortues peuvent vivre cent ans, voir le double. Il y a des choses dans cette vie qui sont plus grandes que nous tous. Les tortues, qui vivent avant nous nous survivrons. De plus, avec Drago, on se demandait si elles savent qu’elles portent toute leur vie sur le dos ce qui deviendra leur cercueil. En sont-elles conscientes ? On a donc choisi de lui donner le nom d’une figure emblématique des États-Unis.».

Jusqu’à présent, Lucky est le film qui a remporté le suffrage de la presse grâce à une performance merveilleuse, artistiquement mise en valeur, soutenue par une photographie lumineuse et un humour corrosif. Beaucoup des diverses facettes de la figure légendaire de Stanton peuvent être vues dans ces longs gros plans, dans la manière dont il frappe une canette dans la rue comme si elle l’avait maltraité, de telle manière que John Caroll Lynch semble s’amuser avec une tendresse poétique des habitudes ritualisées et des questionnements existentiels l’acteur.

Firouz E. Pillet, Locarno


— John Carroll Lynch
© Firouz Pillet

Bio du réalisateur : Né en 1963 au Colorado, John Carroll Lynch a commencé sa carrière d’acteur dans des films tels que Fargo (Joel et Ethan Coen, 1996) et Shutter Island (Martin Scorsese, 2010). Il a également travaillé pour la télévision, notamment sur The Walking Dead (2015) et American Horror Story (2016). Lynch a également travaillé dans le théâtre avec des rôles principaux qui incluent Eddie Carbone dans A View from the Bridge d’Arthur Miller (1962) au Guthrie à Minneapolis. Lucky est son premier long métrage en tant que réalisateur.

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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