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Master Class de Terrence McNally aux Amis musiquethéâtre : Callas, tragédienne à la scène comme à la ville 

Le théâtre carougeois trouve avec cette œuvre une belle occasion d’allier ses deux axes artistiques, le théâtre et la musique. En effet, quoi de plus évocateur que de convoquer la Callas, surnommée « La Bible de l’opéra » par Leonard Bernstein, pour questionner la nature du travail artistique, ses zones troubles où le travail, l’apprentissage, les facilités fusionnent avec la personnalité de l’artiste, ses failles, ses forces. Y a-t-il des limites au don de soi à son art ? Tout le monde peut-il prétendre au génie ? Comment développer une présence reconnaissable entre mille ? Ce sont toutes les questions, et quelques-unes encore, que la pièce, créée à New York en 1995 avec Zoe Caldwell dans le rôle de la diva, pose de manière impérieuse.

— Maria Mettral, Nicolas Le Roy et Sarah Pagin – Master Class de Terrence McNally dans une mise en scène de Michel Favre
© Anouk Schneider

Master Class, succès à l’international depuis sa création, a été traduite en français par Pierre Laville pour une mise en scène de Roman Polanski avec Fanny Ardant dans le rôle-titre. La version suisse est mise en scène par Michel Favre avec Maria Mettral qui endosse avec force et brio le rôle de la cantatrice légendaire qui précisément ne chante plus, car elle a perdu sa voix de manière prématurée, et s’est retirée de la scène au mitan des années soixante. Terrence McNally s’est basé sur des notes prises lors d’une série de masterclasses données par Maria Callas à la Julliard School of Music de New-York en 1971. L’auteur étasunien met ainsi en lumière l’immense exigence de la cantatrice envers ses élèves, à l’image de l’exigence qu’elle a eu vis-à-vis d’elle-même toute sa vie. Les dialogues, inspirés de cette expérience réelle de ces cours magistraux, sont tout à la fois cruels et teintés de désir de transmission, remplis d’humour caustique mais aussi d’introspection poignante.

Sur scène, Maria Mettral, impériale, au port altier, transporte la passion tragique qui habite Maria Callas face à ses élèves, mais aussi face aux souvenirs qui remontent à la surface lors de ces instants où elle cesse d’interrompre les jeunes interprètes dans leur élan et se replonge dans sa propre interprétation d’antan des airs d’opéra. L’ardente tragédienne sur scène rencontre ici la vie tragique de la femme, Maria Anna Sophia Cecilia Kalogeropoulos, qui a commencé sa formation musicale très jeune – « je n’ai jamais été jeune, je ne pouvais pas m’offrir ce luxe si je voulais y arriver » lui fait dire Terrence McNally –, a vécu l’occupation nazie en Grèce pendant laquelle elle a souffert de grande pauvreté et a dû chanter pour les occupants, expérience amère qui pourtant lui a donné une impulsion pour le reste de sa vie, à travers un mot, der Mut, qui exprime le courage teinté d’audace, a dû faire face aux réflexions sur son physique au début de sa carrière et sur sa voix vers la fin, sans compter ses amours tumultueuses et dramatiques qui ont jalonné sa vie.

La Callas semble ici avoir plusieurs points de fixations (le look, ou plutôt l’absence de look, des jeunes gens, le mépris généralisé du détail, l’incapacité à écouter et à entendre, la présence sur scène comme dans la vie), l’un des plus intéressants que donne à entendre l’auteur est celui du pouvoir. La diva n’a de cesse d’expliquer qu’interpréter, c’est combattre et sublimer : « Ne manquez jamais une occasion de théâtraliser », dit-elle. « Une représentation, c’est un combat, une prise de pouvoir, vous devez gagner », poursuit-elle. C’est ici que le volontarisme de Maria Callas se cristallise, c’est elle contre tous et toutes s’il est nécessaire, car il faut avoir de l’estime pour l’art mais aussi du respect pour soi.

La figure de la Callas assène des aphorismes aux deux soprani (Lorianne Cherpillod et Sarah Pagin ) et au ténor (Erwan Fosset) de Master Class, provoquant dans un premier temps l’incompréhension, la peur, la paralysie, mais la transmission opère lorsque les trois jeunes artistes cessent de résister et laissent couler leur voix dans le flot intransigeant de l’essence des personnages joués. La mise en scène et les dialogues provoquent en creux la mise à nu de la cantatrice, mais c’est dans ces moments où les jeunes interprètes plongent dans leur aria que la Callas, La Divina, La Prima Donna Assoluta, se dévoile dans sa fragilité toute humaine : le chant des jeunes s’estompent, la scène devient noire, la lumière se concentre sur la cantatrice qui se remémore, sur fond d’extraits originaux de ses prestations, l’une ou l’autre des représentations, les applaudissements, les ovations, les fastes de la célébrité, et toute cette nourriture immatérielle qui emplissait sa vie.

Empoignant !

De Michel Favre ; avec Maria Mettral, Lorianne Cherpillod, Sarah Pagin, Erwan Fosset, Michel Favre et Nicolas Le Roy (piano) ; Coproduction Théâtre du Pont Neuf / Les Amis – Le Chariot ; 1h40.

Mardi, vendredi : 20h ; mercredi, jeudi, samedi : 19h ; dimanche : 17h – jusqu’au 15 octobre 2023

https://lesamismusiquetheatre.ch/master-class

Malik Berkati

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