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Mostra 2022 – Settimana Internazionale della Critica : Aus meiner Haut (Skin Deep) d’Alex Schaad joue avec la notion de transfert corporel

Le monde artistique regorge de représentation de transferts corporels, allant de Kafka et sa Métamorphose à la radicalité de certaines performances de body art, en passant par le cinéma comique, d’action ou d’horreur. Alex Schaad évacue tous les clichés de genre et prend un chemin plus contemporain avec, pour point de départ, la réflexion sur la fluidité des identités qui débouche sur des questions existentielles : est-ce que notre corps détermine notre identité ? Peut-on s’épanouir dans une autre enveloppe corporelle quand notre âme s’enfonce dans le bleu du mal-être ? Existe-t-il une plasticité du corps qui lui permettrait de s’adapter à notre personnalité ? Est-on prisonnier.ère du regard des autres ? De son propre regard sur soi ? Quid quand on tombe dans le bain de narcisse ?

Aus meiner Haut (Skin Deep) d’Alex Schaad
© WalkerWormFilm (image: Ahmed El Nagar)

Dès les premières images du pré-générique, nous entrons dans un univers étrange, accompagné d’une musique très lyrique, voire messianique. Au petit matin, un homme constate, navré, la mort inattendue d’une jeune femme dans son lit. Après le générique, un jeune couple, Leyla (Mala Emde) et Tristan (Jonas Dassler), a priori heureux, se rend en bateau sur une île isolée. Lorsqu’ils débarquent, l’homme les accueille. Leyla s’assure de son identité et lui lance : « Stella ? », qui répond par l’affirmative. Dans le corps de l’homme (Edgar Selke) se trouve sa fille Stella dont le corps a emporté la vie de son père. Stella est une amie d’école de Leyla, elle l’a invitée sur l’île afin de participer à la dernière saison de l’expérience que son père avait initiée : s’échanger les corps entre couples différents de manière temporaire.

À première vue, tout cela semble confus, cependant Alex Schaad prend soin de ne pas perdre son public dans les méandres des identités. Rapidement, il signalise chaque séquence par des intertitres indiquant qui se trouve à l’écran – et dans quel corps. Les personnes qui participent à ce camp d’été thaumaturgique paraissent, pour la plupart, être à la recherche d’elles-mêmes dans une expérience extra-ordinaire. D’autres cherchent une échappatoire à l’insatisfaction de leur vie.

Tristan est embarqué dans cette histoire sans vraiment savoir où il va. Lorsque, par tirage au sort, son couple est appairé à celui de Fabienne (Maryam Zaree) et de Mo (Dimitrij Schaad, frère du réalisateur et co-scénariste du film), son envie de poursuivre l’expérience est très limitée. Pour Leyla, il se lance tout de même dans l’aventure et se retrouve dans le corps de Mo, une caricature de macho lourdingue, tellement axé sur lui-même qu’une fois dans la peau de Tristan, déboussolé, il sera attiré par son propre corps… De son côté, Leyla retrouve avec son nouveau corps un élan de vie qui l’avait quitté depuis des années. Grande sportive, elle avait arrêté toutes ses activités et s’était repliée sur elle-même ; dans le corps de Fabienne, elle se remet à la course, son cœur bat à nouveau, libéré du poids qui l’enserrait et elle se remet à respirer.

Tristan, dans la peau de Mo, est mal à l’aise, ne sait pas quoi faire de cette encombrante enveloppe. Il ne parvient pas à adapter sa personnalité à ce corps, pire, il ne parvient pas à recréer une intimité avec Leyla à l’apparence de Fabienne et reste attiré par la physionomie de Leyla occupée par Fabienne. Il veut interrompre l’expérience, ce qui l’entraîne dans une discussion pleine de récriminations exprimées par Leyla qui se sent incomprise. S’ensuivront plusieurs changements de corps des un.es et des autres, un tourbillon de constellations possibles qui permettent aux protagonistes d’expérimenter, de délester la structure de leur être des constructions préfabriquées et de s’envisager à travers l’altérité. Pour certain.es cependant, les choses ne finissent pas dans la félicité béate d’un nouveau départ par un simple tour de passe-passe, le maillage de l’ouvrage de son bonheur demandant tout de même un peu de travail, d’audace et d’ouverture d’esprit.

La performance des actrices et des acteurs est remarquable, glissant avec virtuosité dans la peau de leurs différents personnages tout en gardant, en arrière-fond de jeu, les spécificités de leurs personnalités premières, de leurs failles et de leurs élans vitaux.

Dans ce premier long métrage, qui comporte quelques scènes un peu attendues, particulièrement dans les moments comiques, Alex Schaad transporte avec légèreté une vision complexe du monde. On attend avec intérêt la progression de son exploration de l’univers cinématographique.

D’Alex Schaad; avec Mala Emde, Jonas Dassler, Edgar Selke, Dimitrij Schaad, Maryam Zaree, Thomas Wodianka; Allemagne ; 2022 ; 103 minutes.

Malik Berkati

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