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Mostra 2024 : présenté dans la section Giornate degli Autori, Taxi Monamour, de Ciro De Caro, propose une fresque mélancolique suivant deux jeunes femmes qui partagent un temps suspendu insolite

Accueilli par une standing ovation de dix minutes d’applaudissements lors de sa première à Venise, Taxi Monamour, dernier film du cinéaste romain, a remporté le Prix du Public Giornate degli Autori à la 81ème Mostra.

— Yeva Sai et Rosa Palasciano – Taxi Monamour
Image courtoisie La Biennale di Venezia

Deux femmes se rencontrent : Anna (Rosa Palasciano qui a co-écrit le scénario) est en phase terminale et en rupture avec sa propre famille, et Christi (Yeva Sai) est réfugiée ukrainienne vivant chez sa tante. Elles font un bout de chemin ensemble, se rapprochent dans un premier temps puis prennent deux voies différentes, se séparant, un peu comme quand on prend un taxi.

Anna semble bloquée sur son parcours de vie, incapable d’avancer au sens propre comme figuré. Son permis de conduire lui est retiré après un incident. Elle est gravement malade mais refuse les soins et ne veut pas que quiconque le sache, à commencer par sa famille. Elle vit avec son petit ami de longue date, mais celui-ci passe la plupart de son temps à travailler à l’étranger et les demandes d’Anna de partager et de converser restent infructueuses.

Au fil des scènes, le public perçoit qu’Anna paraît n’avoir aucun sentiment d’appartenance envers aucun membre de sa famille, ces personnes qui semblent toutes vaquer à leurs occupations et leurs conversations sans la moindre considération pour la jeune femme. Mais Anna se sent incapable de changer quoi que ce soit à cette situation. Est-ce ce sentiment de solitude qui l’amène à jeter son dévolu sur cette femme qui croise ce chemin ?

Alors qu’elle fait la connaissance de Christi à un arrêt de bus au milieu de la nuit, ce dernier n’arrive jamais. Deux hommes orientaux s’arrêtent à leur niveau et leur proposent, avec insistance, de les ramener. Après une certaine réticence initiale, les deux jeunes femmes se disent qu’à deux, elles ne risquent rien et décident d’accepter que ces deux inconnus les accompagnent. Elles devront pourtant décliner à plusieurs reprises leurs offres insistantes d’aller au restaurant. C’est ainsi que commence l’étrange amitié entre Anna et Christi, la première prenant l’initiative et la seconda demeurant froide et méfiante.

Le trajet en voiture sera un thème récurrent tout au long du récit et jalonnera les rencontres des deux jeunes femmes. Avec simplicité et finesse, De Caro dépeint des personnages marginaux et un brin décalé. Les deux femmes ont toutes les deux un comportement étrange qui intrigue et laisse perplexe. On constate que la première tente de se rapprocher de la seconde et la seconde demeure plutôt dans le rejet puis virevolte en invitant Anna à son anniversaire pour le dimanche suivant.

Dans son nouveau film, Ciro De Caro célèbre l’univers féminin, suivant les événements de ses deux protagonistes aux prises avec d’importants défis personnels et sociaux : Anna est en conflit avec elle-même et sa famille et affronte seule sa maladie ; Nadiya a fui une guerre qui l’éloigne de chez elle et tout son être semble en complète discrépance, à la fois ni ici ni là-bas. Elle vit en Italie avec sa tante, travaille comme aide-soignante auprès d’une vieille femme et a hâte de retourner dans son pays, malgré la guerre parce que les gens qu’elle aime sont en Ukraine. Son regard empli de tristesse ne laisse guère indifférent, et le public finit par souhaiter que la joie de vivre qui émane d’Anna finisse par égayer la jeune réfugiée. Tout le monde conseille à Anna de suivre son partenaire en voyage d’affaires et à Nadiya de rester en sécurité en Italie. La rencontre entre ces deux femmes, bien que courte, presque éphémère, est synonyme d’une plongée dans la liberté et d’une bulle d’oxygène salutaire pour l’une comme pour l’autre. Taxi Monamour suit une progression émotionnelle délicate grâce au regard du réalisateur sur ses deux excellentes interprètes qui semblent évoluer dans une étrange et subtile chorégraphie sous nos yeux.

La distribution comprend également Valerio Di Benedetto, Ivan Castiglione, Matteo Quinzi, Taras Synyshyn, Halyna Havryliv et Laurentina Guidotti.

Né à Rome en 1975, Ciro De Caro a tourné ses premiers courts métrages à l’université puis commence à travailler comme directeur de régie publicitaire. En 2013, il réalise son premier long métrage Spaghetti Story, un petit film indépendant qui a connu un succès inattendu auprès du public et très apprécié par la critique. En 2016, il tourne son deuxième long métrage, Acqua di marzo, puis Giulia en 2021.

Dans cette description poétique des affres que certains êtres traversent, l’œuvre de De Caro fait songer au cinéma roumain, en particulier dans sa manière décrire des « paysages » sociaux uniques. Le cinéaste filme ses protagonistes la caméra au poing, souvent proche de leurs visages, se déplaçant avec fluidité dans leur environnement, baladant sa focale avec limpidité d’un personnage à l’autre, en s’arrêtant sur leurs yeux, sur leurs visages, sur leurs expressions.

Parfois difficile et douloureux, Taxi Monamour tisse ce lien imperceptible entre les deux protagonistes qui grandissent sous nos yeux et nous font grandir avec elles alors que La Javanaise de Serge Gainsbourg ponctue régulièrement le film.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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