Mostra 2025 – Concorso : Sotto le nuvole, de Gianfranco Rosi, révèle au grand jour le visage secret de Naples et du Vésuve
Le documentariste primé – notamment pour Sacro GRA (2013) et Fuocoammare (2016) dresse un portrait changeant de la baie de Naples et de ses habitant·es.
Image courtoisie Mostra de Venise
Entre le golfe de Naples et le Vésuve, la terre tremble parfois, les fumerolles des Champs Phlégréens marquent l’air. Le nuvole, les nuages du titre font partie intégrante de la vie des Napolitain·es. Les ruines en contrebas, les villas romaines aujourd’hui submergées, Pompéi, Herculanum, Szabia, peut-être moins connue que les deux premières, témoignent d’un avenir autrefois enfoui par les laves, figé à tout jamais dans le temps. Retraçant l’histoire, les souvenirs du sous-sol, en noir et blanc, c’est une Naples méconnue est peuplée de vies que la caméra de Gianfranco Rosi révèle au fil des fouilles et des rencontres.
Sotto le nuvole (Sous les nuages) s’étend sur un territoire parcouru par des habitants, des fidèles, tout de blanc vêtus, qui poussent la dévotion à avancer, couchés au sol, se hissant entre sanglots et lamentations, vers le saint ou la sainte qu’iels vénèrent, des touristes et des archéologues fouillant le passé. Ou encore celles et ceux qui, dans les musées, cherchent, munie·es de leur lampe de poche, à donner vie et sens aux statues, aux fragments et aux ruines reléguées dans les sous-sols des musées.
Souvent filmé de nuit, le train Circumvesuviana traverse le paysage, mais les habitants ne l’entendent même plus ; des chevaux au trot s’entraînent sur le rivage, puis les flancs immergés dans les flots de la mer, poursuivent leur cavalcade en tirant une charrette avec fougue malgré la résistance de l’eau. Un instituteur et antiquaire âgé, Titti, consacre son temps aux activités parascolaires des enfants et des adolescents, les faisant réviser leurs leçons alors qu’il lit Les Misérables de Victor Hugo en quelques jours en suscitant l’admiration de ses élèves. Parmi cette galerie de portraits insolites, les pompiers accueillent les appels de toute la région, de la voisine inquiète d’entendre un chat miauler comme il s’est coincé dans une gouttière en passant par la personne âgée qui veut s’assurer que sa montre est à l’heure à l’homme préoccupé de la magnitude de la dernière secousse. Mais certains appels arrachent des larmes alors qu’un pompier, après avoir appelé ses collègues policiers pour qu’ils interviennent, reste au téléphone avec une femme en pleurs avec ses deux enfants en bas âge, victime d’un mari violent et soûl. Les pompiers doivent garder leur calme devant l’avalanche d’appels et canaliser les petites et grandes peurs des habitant·es.
La caméra de Gianfranco Rosi filme les forces de l’ordre qui traquent les pilleurs de tombes tandis qu’à Torre Annunziata, des navires syriens déchargent du grain ukrainien. À quai, le capitaine tente de rassurer sa femme, mais la connexion internet, de mauvaise qualité, ne cesse de couper leur échange. Il a le temps de lui confier qu’il doit repartir pour l’Ukraine où les bombes pleuvent. Alors qu’il lui parle, il apprend qu’à Odessa, des dockers syriens meurent dans un attentat. Le documentaire présente également des coupes répétées sur une salle de cinéma vide où sont projetés des films sur Naples et sa région, dont des extraits du Voyage en Italie (1954) de Roberto Rossellini. Ceci aussi est une sorte d’artefact.
Une équipe d’archéologues japonais fouille la Villa Augustea depuis vingt ans, à l’aide de cuillères et de brosse à dents, recueillant des graines, des ossements et des récits dans les sédiments. Les touristes déambulent dans les ruines de Pompéi, les fidèles pénètrent dans le sanctuaire de la Madonna dell’Arco, et les offrandes votives et les cryptes racontent l’histoire d’un monde qui a survécu.
Le territoire du Golfe est une immense machine à remonter le temps, mise en lumière par le choix du noir et blanc qui confère à la fresque brossée par Gianfranco Rosi une atmosphère singulière. L’approche observationnelle caractéristique du réalisateur offre un résultat saisissant d’une mosaïque dont la cohésion est toutefois fragile. Les fréquents changements de lieux et de personnages ne révèlent que lentement le thème sous-jacent qui n’en demeure pas moins le protagoniste principal : le Vésuve.
Au pied de ce fameux Vésuve, passé et présent se heurtent dans une apparente harmonie. Tandis que l’équipe de chercheurs japonais fouille le site archéologique de Pompéi à la recherche d’objets, des voleurs dérobent des fresques antiques à travers un réseau de tunnels illégaux, et avec elles un morceau d’histoire. Pendant ce temps, têtes et corps de statues antiques s’accumulent dans les archives de la ville. Dans un autre quartier de Naples, les pompiers prodiguent conseils et assistance aux habitants.
Pendant trois ans, Gianfranco Rosi a filmé dans le golfe de Naples. Fidèle à son style caractéristique, il laisse les images et les personnages parler d’eux-mêmes. Le film est exclusivement composé de moments d’observation qui se succèdent, qui tantôt suscitent la réflexion, tantôt font sourire.
Gianfranco Rosi explique comment il a élaboré le portrait de cette région de Campanie :
« J’ai voyagé et vécu trois ans à l’horizon du Vésuve, à la recherche de traces d’histoire, du passage du temps, des vestiges du quotidien. Je recueille des histoires dans la voix de ceux qui parlent, j’observe les nuages, la fumée des Champs Phlégréens. Quand je filme, j’apprécie la surprise d’une rencontre, d’un lieu, la vie d’une situation. Le défi du récit est de suivre le cadre, tandis que les histoires prennent vie. Le temps du film est la confiance de cette rencontre. J’ai tourné en noir et blanc, j’ai regardé en noir et blanc. En filmant, entre la mer, le ciel et le Vésuve, j’ai découvert une nouvelle archive de vérité et de possibilités. »
Le thème central de Sotto le nuvole se cristallise lentement : conservation versus destruction. À l’ombre du Vésuve, ces deux pôles sont omniprésents comme dans un incessant mouvement de balancier.
Entre cratères sifflants, interventions des pompiers et chargement de céréales, le film de Rosi présente un intérêt indubitable mais n’est cependant pas parvenu à captiver tout le public présent, plutôt clairsemé, de manière égale. Il faut souligner qu’à la Mostra de Venise, les cinéastes italiens ont toujours leur place dans la compétition officielle, mais la concurrence s’annonce rude pour ce documentaire qui aurait peut-être été mis plus en valeur dans une autre section.
Firouz E. Pillet, Venise
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