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Pamfir de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk – Entre réalisme et mythologie

Présenté en Première à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes 2022, le premier long métrage de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk place le cinéma ukrainien dans la cour des grands. Depuis le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tous les principaux festivals internationaux ont programmé des productions ukrainiennes, avec plus ou moins de réussite. Nombre de ces films, documentaires comme de fiction, ont pour toile de fond la guerre en Ukraine, celle, de faible intensité – pour les médias et la communauté internationale, pas pour les Ukrainien∙es bien évidemment – qui a débuté en 2014 dans le Donbass qui, depuis une année, a pris une tournure dramatique et globale. Quelques-uns ayant trait à d’autres sujets arrivent à se faire une place dans les sélections – et on se rappelle que le cinéma ukrainien est issu d’une longue tradition, certes en partie liée au cinéma soviétique, mais avec déjà bien avant son indépendance un développement spécifique. Pamfir (ou Le Serment de Pamfir en français), illustre cette tradition qualitative cinématographique ukrainienne ancrée dans son territoire.

Pamfir de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk
© trigon-film.org

Comparaison n’est pas raison et, même s’il est toujours tentant d’aller chercher des références auprès d’autres cinéastes ou productions, il faut rester parcimonieux dans cet exercice qui, nous devons bien l’avouer, est un péché mignon de la critique culturelle. Ici, non pas une comparaison, mais un point de frottement qui rapproche Pamfir avec un autre film de 2022 : R.M.N. du roumain Cristian Mungiu. Les deux films jouent avec les frontières, physiques, de langues, visuelles, narratives, de genre. Comme en écho l’un envers l’autre, ils se répondent dans le cri muet de ses pères, anti-héros peu aimables, en rupture de ban avec leurs propres géniteurs, partis à l’étranger gagner leur vie, revenus devant sauver leurs fils et leur transmettre le flambeau de l’avenir. Cet effet miroir, où les femmes jouent également un rôle décisif, n’est sans doute pas le simple fruit du hasard, Pamfir ayant pour cadre un village à la frontière roumaine, celui de Mungiu se trouvant dans la région multiethnique de Transylvanie.

Leonid (Oleksandr Yatsentyuk), parti travailler en Pologne, revient dans sa région natale, à l’ouest de l’Ukraine. C’est une force de la nature, surnommé Pamfir – littéralement pierre. Il a fait un serment à sa femme Olena (Solomiya Kyrylova) : ne plus jamais faire de la contrebande de marchandise avec la Roumanie. La région est propice à ce trafic – des clans mafieux, des gardes-frontières corrompus, un territoire de forêts, traversé par la brume et les tunnels creusés par les trafiquants. Et surtout, une source de revenu qui attire les jeunes et oblige les plus âgés, sans grandes perspectives dans cette région reculée. Nazar (Stanislav Potyak), le fils adolescent de Leonid et Olena se met dans une fâcheuse situation. Leonid, qui ne parle plus avec son père, ne veut pas reproduire cette fracture, ni que son fils reproduise son propre destin. Il se voit donc obligé de rembourser le préjudice en reprenant, une dernière fois, le chemin de contrebande.

Difficile de ranger Pamfir dans un genre, tant Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk brouille les lignes entre réalisme et mythologie, entre le film de mafia et le film politique. Celui auquel il s’approche peut-être le plus, serait le genre folk horror, avec ses rites païens qui se mêlent au religieux du carnaval, faisant penser à nos Silvesterchlausen d’Appenzell ou les Tschäggättä valaisans. Dans cette région des Carpates, la préparation du carnaval d’hiver de la Malanka est une tâche de longue haleine et l’événement lui-même un épisode majeur de la vie sociale.

— Oleksandr Yatsentyuk – Pamfir
© trigon-film.org

Sur ce territoire, les êtres sont tourmentés, la terre aussi. Elle bouillonne sous les pieds des hommes et des femmes, de leurs rituels et leurs traditions. En tant que spectateur∙trice, on se fait avaler par cet univers incandescent. La mise en scène de cet univers par Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk est phénoménale, avec la caméra de Nikita Kuzmenko en immersion, avec des plans-séquences qui ennuage les sens dans une palette chromatique qui alterne le chaud et le froid. Le souffle du désespoir s’entend dans les halètements de la course de contrebande boostée au viagra, clin d’œil mi-figue mi-raisin à la masculinité toxique de ces endroits où la rudesse des lieux déteint sur les interactions entre les habitant·es, qui finissent parfois par ressembler à des bêtes. Tandis que chacun s’apprête à porter son masque pour la procession, Pamfir y range ses démons et par au-devant de son destin, fait de chair et de sang.

de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk; avec Oleksandr Yatsentyuk, Stanislav Potyak, Solomiya Kyrylova, Olena Khokhlatkina, Myroslav Makoviychuk, Ivan Sharan; Ukraine ; 2022 ; 102 minutes.

Malik Berkati

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