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Berlinale 2020 – Compétition : Undine de Christian Petzold ou le réenchantement du monde

Undine est la cinquième contribution à la compétition du festival de Berlin où il n’a jamais eu l’Ours d’or. En 2018, il présentait le formidable Transit, basé sur le roman éponyme d’Anna Seghers, avec Paula Beer et Franz Rogowski dans les rôles titres. Dans Undine, il reforme ce couple de cinéma qui semble être moulé dans la définition de l’intimité sensuelle et respectueuse de l’amour.

— Franz Rogowski, Paula Beer – Undine
© Marco Krüger/Schramm Film

Ce film est un pur bonheur cinématographique où l’art du cinéaste allemand de mélanger les genres et tisser une trame à la fois limpide et truffée d’éléments qui donnent au récit dont il s’empare des couches de sédiments d’histoire s’exprime à nouveau. Undine ne fait pas exception à ce modus operendi, même si de prime abord, c’est avant tout une histoire d’amour. Petzold s’empare ici d’un thème mythologique mais qu’il traite avec le réalisme cinématographique qui le caractérise. Et c’est une réussite !

Undine (Paula Beer) est une historienne qui donne des conférences sur le développement urbain de la ville. Elle a un petit appartement qui donne sur Alexanderplatz, une maîtrise en histoire et un contrat de free-lance au Stadtmusuem. Mais sous des airs de vie urbaine moderne se cache un ancien mythe : si l’homme qu’Undine aime la trahit, elle doit le tuer et retourner à l’eau d’où elle est venue. Ainsi, lorsque son amant Johannes (Jacob Matschenz) la quitte pour une autre femme, Undine pense qu’elle n’a pas le choix. Mais, de manière inattendue – et humoristique, car ce film ne manque pas d’esprit –  elle rencontre Christoph (Franz Rogowski), un plongeur industriel. Ils tombent éperdument amoureux l’un de l’autre, un bel amour rempli de la curiosité et de la confiance en l’autre. Un jour cependant, Christoph sent un battement manquant dans le cœur d’Undine. L’idylle fait place au retour de la malédiction à laquelle elle va devoir faire face une fois pour toutes.

Christian Petzold revisite la légende à l’aune de sa propre vision cinématographique

Undine nous entraîne dans une histoire fantastique sans essayer de nous mystifier. Le cinéaste fait confiance à son talent d’écriture et il a bien raison : le récit se suffit à lui-même pour nous entraîner dans cet univers mythologique permettant ainsi à la mise en scène d’embarquer les spectateurs dans cette histoire sans les heurter ni leur faire peur, avec une attention particulière sur la précision du rendu des petits gestes du quotidien des protagonistes ; certains s’y reconnaîtront en partie, d’autres pas du tout, mais cela n’empêchera pas l’immersion naturelle dans un univers qui reste familier.

Paula Beer explique comment elle a approché son personnage :

En lisant le scénario, je me suis demandé qui était cette Undine contemporaine ? En y réfléchissant, j’ai aimé l’idée d’aborder ce rôle en me disant qu’elle était une meurtrière en série qui sévit dans la ville depuis 600 ans et qui a justement choisi ce métier d’historienne et guide de la ville car elle connaît toutes les évolutions de Berlin de l’intérieur.

L’autre personnage principale du film est la ville de Berlin, Christian Petzold s’en explique :

J’ai voulu montrer une ville vivante, construite sur des marécages, qui a dû constamment se drainer pour construire son infrastructure et devenir ce qu’elle est. Berlin n’a pas de mythe propre, c’est une ville-carrefour qui a toujours importé ses mythes. D’un autre côté, depuis la Chute du mur, elle a tendance à effacer son histoire de manière brutale.

— Paula Beer – Undine
© Marco Krüger/Schramm Film

Cet élément dramatique et traumatique de ce que ressent une partie de la population de ce que l’on appelle en Allemagne « Les nouveaux Länder » vis-à-vis d’une Allemagne de l’Ouest revancharde, méprisante qui écrit et réécrit l’histoire à la manière des vainqueurs est particulièrement symbolisé dans la capitale allemande par la destruction du Palast der Republik, un haut lieu de culture et de rencontre de la RDA, pour y mettre à sa place un château prenant modèle pour son extérieur sur un ancien château détruit en 1950. Cet effacement d’une partie de l’histoire de la ville est justement pointé dans le récit à travers Undine que l’on écoute dans de longs exposés passionnants sur les différentes époques et structures de Berlin. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si toute l’action urbaine du film se déroule dans Berlin-Mitte, ce centre qui était no-man’s land et périphérie du temps des deux Allemagne, ce milieu que l’on a en partie reconstruit et redéfinit pour recoller les deux parties d’une ville cassée en deux pendant 40 ans. Petite touche encore plus contemporaine, la gentrification et la airbnbsation de la ville est effleurée par une petite scène où Christophe à la recherche d’Undine se retrouve face à un couple d’Espagnols qui ne parlent pas l’allemand et sont dans une location de courte durée.

À la vie à la mort

— Franz Rogowski – Undine
© Marco Krüger/Schramm Film

Undine aurait dû se venger de Johannes mais elle a décidé de défier le déterminisme de la malédiction à laquelle elle ne veut pas retourner –  selon le mythe, Undine est la femme trahie des eaux qui vit dans un lac de la forêt. Elle se laisse la chance de rencontrer quelqu’un et de l’aimer, non pas parce qu’il en a besoin (un homme désespérément amoureux mais rejeté peut entrer dans la forêt, aller sur les rives du lac et crier le nom d’Undine ; elle viendra et l’aimera, mais leur amour aura la forme d’un pacte) mais parce qu’il y a eu une rencontre entre eux. C’est l’histoire éternelle de l’amour à la vie à la mort. Et s’il arrive que l’on meurt d’amour, peut-être est-il possible de mourir d’amour plusieurs fois dans une même vie…

De Christian Petzold; avec Paula Beer, Franz Rogowski, Maryam Zaree, Jacob Matschenz, Anne Ratte-Polle; Allemagne, France; 2020; 90 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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